Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Dans cette situation, le dogme du consensus social à l'allemande est, lui aussi, remis en cause. Désormais, le patronat s'attaque au système du partenariat social, symbole du consensus dans l'économie et, au-delà, dans l'ensemble de la société. Le 28 septembre, les dirigeants de la métallurgie, après que les syndicats eurent obtenu une hausse des salaires de 11 % dans cette branche, dénonçaient les conventions salariales ; ils estimaient ne plus pouvoir jouer le jeu dans un secteur sinistré (baisse de 14 % de la production en 6 mois et 450 000 emplois supprimés en deux ans). Ils avaient été précédés dans cette voie par le chancelier Kohl, qui, dès le 2 septembre, déclarait que, « pour assurer la compétitivité de l'Allemagne », il fallait revoir à la base le système d'État-providence, en s'attaquant au plus vite aux primes diverses, aux sureffectifs, voire aux prestations sociales.

Confiance à la baisse

Un tel langage constitue-t-il une réponse suffisante aux interrogations de l'opinion allemande, qui exprime, par ailleurs (notamment au cours des élections partielles), une défiance croissante aux « partis établis », CDU, FDP et SPD ? Divers scandales (plutôt mineurs à l'aune française ou italienne) ont émoussé un peu plus la confiance des électeurs. Mais, surtout, Helmut Kohl a perdu de son aura gagnée en 1990, lors de la réunification, alors que la nouvelle génération de politiciens ne semble pas se montrer à la hauteur des défis. Les challengers sociaux-démocrates ont peine à conquérir une crédibilité auprès des Allemands. Björn Engholm chute, le 3 mai, sur une affaire de faux témoignage et son successeur à la tête du SPD, Rudolf Scharping, donne encore l'image un peu pâle d'un technocrate lisse.

La désillusion semble se porter plus largement sur l'ensemble de la société. On constate ainsi une augmentation annuelle de 10 % de la criminalité ; dans les grandes villes, jadis si sûres, les mafias italienne, russe et bulgare mettent en coupe réglée nombre de leurs ressortissants. La présence de très nombreux sans-logis – un million selon certaines estimations, dont 40 000 enfants – modifie le paysage urbain. Le vieillissement de la population s'accentue ; ce phénomène, qui touche presque tous les pays développés, a cependant pris un tour particulièrement dramatique dans les Länder de l'Est. Certaines statistiques évoquent une population allemande passant de 80 millions aujourd'hui à 40 millions en 2030...

Vers l'instabilité ?

Ce climat lourd augure mal de l'année à venir. Pourtant, 1994 sera pour l'Allemagne une intense année électorale, avec le renouvellement dans la plupart des Länder, l'élection du président de la République, les élections européennes, et surtout les élections législatives débouchant sur la désignation d'un nouveau chancelier (s'il ne se succède pas à lui-même). Les électeurs ne seront-ils pas tentés de se reporter largement sur les petits partis (libéraux, Verts, mais aussi extrême droite et anciens communistes), rendant ainsi plus aléatoire encore la stabilité politique du pays le plus puissant d'Europe ?

Helmut Schmidt, Handeln für Deutschland, Rowohlt, 1993
Michael Schmidt, Néo-nazis, Jean-Claude Lattes, 1993

Patrick Démerin
Écrivain et journaliste à Arte