Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

Biologie : la suprématie de l'ADN

Deux prix Nobel 1993, celui de médecine et celui de chimie, récompensent chacun une avancée majeure dans le domaine de la biologie moléculaire. Le premier, attribué aux Américains Richard Roberts et Phillip Sharp, couronne la découverte, en 1977, de la structure discontinue des gènes chez les organismes eucaryotes. Le second, reçu par le Canadien Michael Smith et l'Américain Kary Mullis, salue la mise au point, en 1978, de la mutagenèse dirigée, méthode qui permet de provoquer artificiellement des mutations sur n'importe quel gène, et surtout celle, en 1985, de la technique d'amplification génique, dite PCR (Polymerase Chain Reaction), qui permet de démultiplier plusieurs millions de fois, dans une simple éprouvette, n'importe quel fragment d'ADN. Une opération que des appareils automatisés effectuent aujourd'hui en quelques heures avec une grande précision, et qui a progressivement détrôné le traditionnel clonage de gènes par bactéries, infiniment plus long et plus fastidieux à mettre en œuvre.

Deux Nobel, trois découvertes, toutes relatives à la nature chimique de l'hérédité. C'est assez dire combien la molécule d'ADN (acide désoxyribonucléique), le support du patrimoine génétique – dont James Watson et Francis Crick, il y a tout juste quarante ans, ont élucidé la structure en double hélice –, est devenue omniprésente dans les laboratoires du vivant. Au point qu'il n'est plus guère de progrès, dans ce domaine, qui ne fasse aujourd'hui appel à elle.

Nobel 1993 : les gènes en morceaux

Pendant longtemps, on a pensé que les gènes étaient inscrits le long de la molécule d'ADN de la même manière que des mots le long d'une phrase. En fait, il n'en est rien, et la découverte, en 1977, de la structure discontinue des gènes vaut, en 1993, le prix Nobel de médecine et physiologie aux biologistes américains Richard J. Roberts et Philip A. Sharp. La découverte de la structure interrompue des gènes fut perçue dès cette époque comme une révolution scientifique de toute première importance, qui modifia totalement la conception que les biologistes se faisaient de l'expression des gènes.

C'est l'étude du génome de virus responsables d'infections bénignes chez les primates, les adénovirus, qui a permis de mettre en évidence ce que l'on appelle depuis lors les gènes en morceaux, ou gènes mosaïques : les gènes sont constitués de segments codants, les exons, et de segments non codants, les introns. Si l'on reprend l'image des mots et de la phrase pour le gène, il faut imaginer des groupes de lettres assemblées n'importe comment, les introns, entre les mots. Au cours du processus qui mène de l'ADN – c'est-à-dire du gène – à la protéine en passant par les ARN messagers, ces introns disparaissent. Roberts et Sharp ont donc fourni les preuves de la structure morcelée des gènes. Mais ce qu'ils avaient découvert chez les virus était-il valable pour les organismes pourvus de cellules à noyau, les eucaryotes ?

Le groupe de D. Hogness, sur un gène de la drosophile, ceux de A. J. Jeffreys sur le lapin, de Phil Leder sur la souris et de Pierre Chambon sur la poule aboutissent aux mêmes conclusions dans les mois qui suivent.

La manipulation des gènes, rendue possible depuis près de vingt ans par le fabuleux essor des biotechnologies, apporte ainsi, chaque année, son lot d'« espèces » nouvelles, dans le patrimoine desquelles un caractère héréditaire étranger a été introduit. La cuvée 1993 en contient une particulièrement délectable, puisqu'il s'agit de la première vigne transgénique (génétiquement manipulée). Française, bien sûr, et détenue par le groupe Louis Vuitton-Moët-Hennessy (LVMH), elle a nécessité trois ans de collaboration intensive entre sept laboratoires privés et deux publics (CNRS, INRA). Contrairement à la tomate, au tabac et à bien d'autres plantes, la vigne est en effet particulièrement réfractaire aux manipulations génétiques. La performance a consisté à « greffer » à des plants de champagne 41-B (deuxième porte-greffe utilisé dans le monde) un gène les rendant résistants au virus du court-noué, l'un des fléaux les plus redoutés des viticulteurs.