Aussi, en France, la concurrence venant de l'extérieur est-elle rendue responsable des difficultés des agriculteurs, de la disparition de dizaines de milliers de commerces et d'entreprises, de la désertification de régions entières et de la polarisation croissante des activités autour de quelques zones hyperdéveloppées. C'est surtout la croissance du chômage, attribuée au dumping social et aux délocalisations, qui a suscité la revendication protectionniste. Dans les deux cas sont mis en cause soit l'importation de produits fabriqués à bas prix (textiles notamment) dans des zones à faibles salaires (Asie du Sud-Est), soit le transfert d'entreprises dans des sites, européens ou non, où la main-d'œuvre coûte beaucoup moins cher. Par ailleurs, pour des secteurs dits ultrasensibles comme l'audiovisuel ou le cinéma, soumis à une forte pression concurrentielle de l'industrie américaine, il a été réclamé une « exception » culturelle : il s'agit de laisser à ces deux secteurs un certain degré d'autonomie de développement. Quant au dossier agricole, les agriculteurs craignent de ne pas recevoir des compensations suffisantes, compte tenu de la baisse de leurs revenus résultant de la limitation des débouchés extérieurs.

GATT et agriculture

L'accord CE/États-Unis du 21/12/92, dit accord de Blair House, prévoit de réduire de 21 % les exportations subventionnées et de plafonner à 5,1 millions d'hectares les surfaces de la Communauté consacrées à la production d'oléagineux.

GATT et textile

Les pays industrialisés souhaitent rediscuter l'accord dit « multifibres » de 1974, qui favorise les exportations de produits textiles en provenance des pays du tiers-monde.

GATT et aéronautique

Les Américains accusent les Européens de subventionner Airbus au-delà de ce qui était permis d'après l'accord du 17/07/92. Les Européens rétorquent que les avionneurs américains sont eux-mêmes subventionnés indirectement par le biais des contrats militaires.

GATT et audiovisuel

Les Américains souhaitent une complète libéralisation en ce domaine (qui représente leur deuxième poste à l'exportation) ; ils s'opposent aux quotas de programmes nationaux sur les chaînes européennes. La France considère que la culture ne saurait être considérée comme un bien commercial ordinaire.

Néoprotectionnisme

Dans d'autres pays, le protectionnisme a pris d'autres formes. Par exemple, les États-Unis ont eu recours au bilatéralisme pour lutter contre l'accroissement des importations (surtout japonaises) et réduire le déficit commercial à l'égard du Japon. Les Américains ont cherché à obtenir du Japon (et parfois d'autres fournisseurs), par la voie de la négociation, des mesures de restrictions « volontaires » à leurs exportations d'automobiles, de semi-conducteurs, de machines-outils, d'acier, vers les États-Unis. Parallèlement à ces pratiques bilatérales s'est élaboré aux États-Unis, notamment autour de Bill Clinton, tout un courant de pensée néoprotectionniste proposant le « managed trade », c'est-à-dire l'utilisation de la politique industrielle comme moyen de développement d'une industrie ou d'un secteur d'activité totalement indépendant de l'étranger afin de réduire le déficit commercial et de procurer des emplois (cas de l'aéronautique américaine, indirectement aidée par des contrats de recherche-développement). De même, les théories de la « croissance endogène » poursuivent un objectif identique et estiment qu'une activité doit être nécessairement aidée toutes les fois qu'elle entraîne des retombées favorables pour l'ensemble de l'économie (cas des industries de base ou des activités de recherche-développement).

Dans un environnement aussi complexe et conflictuel et face aux tendances protectionnistes et néoprotectionnistes, les négociations du GATT ne pouvaient que se révéler laborieuses. Elles mettaient en cause trop d'intérêts contradictoires. Face à ces derniers, le GATT ne semble pas disposer de pouvoirs assez étendus pour imposer le compromis ménageant les intérêts des uns et des autres. À cet égard, l'accord final du 15 décembre est loin de résoudre tous les problèmes, même s'il permet de clore six années de négociations.

GATT et organisation des différends

La règle du GATT est le consensus. La France souhaite la création d'une « Organisation mondiale du commerce », pour éviter les sanctions unilatérales (notamment de la part des États-Unis, qui n'hésitent pas à utiliser la section 301 du Buy American Act, qui les autorise à prendre unilatéralement des sanctions commerciales).

L'étude publiée par le Centre de développement de l'OCDE conclut que les effets d'un règlement positif des négociations du GATT se manifesteraient seulement à moyen et à long terme. À l'horizon 2002, un accord éventuel se solderait par un gain de croissance mondiale de l'ordre de 0,5 %.

La Commission européenne estime qu'un accord global au GATT profiterait à l'ensemble de la Communauté, créant entre 90 000 et 130 000 emplois nets durant une décennie, dont environ 20 000 à 25 000 en France, essentiellement grâce à l'amélioration de l'accès aux marchés (y compris à ceux des pays en développement), et notamment dans le domaine des services qui constitue un de ses points forts. La CE, dans son ensemble, forme le bloc commercial ayant le plus gros intérêt à cette ouverture, puisqu'elle exporte hors de ses frontières plus de 1,4 fois la valeur des exportations réalisées par les États-Unis et plus de 1,8 fois celle des exportations japonaises.

Gilbert Rullière
Directeur de recherches au CNRS
Professeur à l'université de Lyon-I

Matières premières et pétrole

En 1993, les prix des matières premières (en termes relatifs) n'ont pas cessé d'évoluer à la baisse, descendant ainsi à leur plus bas niveau depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L'industrie extractive

Dans le cas des matières premières destinées à l'industrie, la détérioration des cours a résulté tout à la fois de la contraction des achats et de l'accumulation des stocks de matières invendues. La réduction des achats provient évidemment du freinage de la demande. Quant à l'accumulation des stocks, elle tient aux spécificités mêmes des industries minières ou d'extraction, c'est-à-dire aux délais d'ajustement de la capacité aux variations de la demande. Compte tenu de ces délais, la production doit passer par une alternance de phases d'expansion et de contraction de la capacité d'extraction, ou inversement. En réalité, après une période de développement de la capacité en réponse à une hausse de la demande, la moindre baisse de cette dernière met en évidence une surcapacité, difficile à réduire. Les producteurs sont alors contraints, pour tout ce qui n'est pas écoulé, de stocker et de baisser les prix. La hausse record des stocks, notamment des métaux non ferreux, et la forte baisse des cours observée en 1992-1993 peuvent être regardées comme la conséquence d'une expansion antérieure de la capacité de production. En effet, avant 1987, en raison d'une période de prix bas, les producteurs avaient été contraints de fermer des capacités. Entre 1987 et 1989, le doublement du prix des métaux a conduit les producteurs à étendre la capacité de l'industrie extractive. Avec le fléchissement en 1990 de la production des pays européens et de l'Amérique du Nord, la surcapacité de l'industrie extractive ne pouvait entraîner qu'un gonflement des stocks, notamment de métaux non ferreux, et une chute durable des prix : cette dernière a d'ailleurs été amplifiée par l'accroissement des exportations de l'ancienne URSS, comme conséquence d'un freinage de la demande intérieure. À cet égard, une reprise de l'activité économique ne parviendrait pas à provoquer un relèvement des cours.

Le café et le cacao

Pour beaucoup de matières premières agricoles, la baisse des cours tient surtout au contrôle de l'offre par les pays consommateurs, qui s'opère au détriment des intérêts des pays producteurs. Aussi, pour certaines denrées comme le café et le cacao (au long cycle de production), des accords entre pays producteurs et pays consommateurs devraient être conclus pour éviter que cette baisse ne se prolonge. Ainsi, vingt-sept pays producteurs de café (soit 80 % de l'offre mondiale) ont créé l'Association de pays producteurs de café (APPC) afin d'éviter la surproduction en décourageant l'expansion des cultures que susciterait une éventuelle flambée des cours ; il s'agit également d'empêcher que des entreprises des pays consommateurs (États-Unis notamment) ne se lancent dans la production, devenue attrayante parce que rémunératrice.

Le pétrole

Comme les cours des matières premières, ceux du baril de pétrole à Londres (16-17 dollars en septembre 1993 contre une moyenne de 19 dollars en 1992) sont tombés à leur plus bas niveau depuis trois ans, en partie à cause d'une surproduction et de la stagnation de la demande mondiale (60,1 millions de barils/jour en 1993 contre 67 millions en 1992 selon l'Agence internationale de l'Énergie), due principalement à l'effondrement de la consommation de l'ex-URSS (5,8 millions de barils/jour en 1993 contre 6,9 millions en 1992) et, dans une moindre mesure, à la récession européenne. En termes corrigés de l'inflation, la valeur de l'or noir continue de s'éroder. En francs constants, le brut est trois fois et demi moins cher en 1993 qu'au début des années 1980 et deux fois moins onéreux qu'après le premier choc pétrolier, en 1973.

Pour tenter d'enrayer la chute des cours, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a cherché à imposer une plus grande discipline en définissant le plafond de brut pour six mois (et non plus trois mois comme par le passé). Il s'agit d'éviter que l'éventuel retour de l'Irak comme vendeur n'entraîne une nouvelle chute des cours, qui obligerait l'Arabie Saoudite à réduire sa production.

Gilbert Rullière