L'économie japonaise connaît sa quatrième année consécutive de baisse des profits. Les industries compétitives souffrent de la montée du yen, qui est de l'ordre de 20 % sur un an. Les grands groupes semblent moins confiants dans le management consensuel, l'emploi à vie et la stabilité des rapports avec leurs sous-traitants. Certains ont été conduits à des licenciements. Le gouvernement japonais a multiplié les plans de relance. Malgré ce volontarisme, l'accélération de la reprise reste incertaine et le pays connaît un excédent commercial record à hauteur de 150 milliards de dollars, ce qui l'expose aux pressions du libre-échangisme revendicateur des États-Unis.

En dépit d'une embellie conjoncturelle, la Grande-Bretagne n'est pas sortie du tunnel. Elle paie les suites d'une désindustrialisation continue par un déficit commercial de l'ordre de 170 milliards de francs (3 % de son PIB). Le décrochage de la livre par rapport au SME lui a permis de se déprécier de 18 % de septembre 1992 à février 1993 et de diminuer de moitié ses taux d'intérêt à court terme sous l'action de la Banque centrale. Mais les taux à long terme, qui dépendent davantage des anticipations du marché, ont poursuivi sans changement de rythme leur baisse, de sorte qu'ils restent à 7,2 % en septembre 1993, à un point au-dessus des taux français. Le regain d'inflation que l'on redoutait ne s'est pas produit, car les excédents de la capacité d'offre mondiale pèsent sur les prix, mais le Royaume-Uni n'a pas tiré avantage de ses options monétaires pour stimuler sa croissance par les exportations.

L'Italie a, semble-t-il, tiré meilleur parti de la sortie de la lire hors du SME, car sa balance commerciale s'est redressée ; elle remet en ordre, non sans douleur, les finances de l'État. 1993 aura été le théâtre d'intenses changements. Ces changements appellent un renouvellement des personnels politiques. L'Italie s'y est courageusement attelée. Mais la réforme impose une austérité sans précédent à sa population.

L'Allemagne, entrée en récession au deuxième trimestre de 1992, semble ne pouvoir s'en sortir que difficilement. Nombre de ses industries compétitives souffrent de l'atonie de la demande et de la baisse des prix. Quoi qu'on en dise, ses taux d'intérêt réels se sont rapprochés, depuis 1991, des valeurs normales. De plus, les entreprises allemandes souffrent paradoxalement moins que les entreprises françaises des taux car elles recourent moins au crédit, avec une inflation légèrement supérieure. En réalité, la reprise allemande est surtout freinée par la cherté du Mark, qui a provoqué une chute des exportations allemandes, et par le coût exorbitant des aides aux Länder de l'Est et à l'ex-URSS. Enfin, si le déficit public (5 % du PIB en 1993) a freiné la baisse des taux d'intérêt, la réduction du déficit que l'on espère obtenir en relevant les impôts sur le contribuable à partir de 1995 exercera à son tour une influence déflationniste. Il faut donc replacer les variables économiques dans leur véritable contexte. L'Europe, dans son entier, paie l'inévitable prix de l'effondrement du communisme.

À la fin de 1993, quelques signes encourageants font espérer une reprise limitée : les effets anticycliques des budgets (dépenses incompressibles, moins-values fiscales) et la poursuite de la baisse des taux d'intérêt en sont les principaux. Le dynamisme de l'Asie pourrait servir l'Europe si elle s'y trouvait beaucoup plus présente.

Depuis juin, les marchés boursiers anticipent une reprise. Cela surprend et pourrait annoncer la formation d'une nouvelle bulle spéculative, notamment en Italie, au Japon et au Canada. Fin septembre, le rapport des cours aux bénéfices se situe au double, voire au triple de la normale, selon la place. Il serait urgent que les anticipations se calment.

La longue et la courte Histoire

La situation, à l'automne, reste préoccupante. L'OCDE comptera 35 millions de chômeurs (contre 32,5 millions en décembre 1992), auxquels on devrait ajouter 13 millions de chômeurs découragés ou de travailleurs involontairement employés à temps partiel. À ceux qui s'appuient sur des modèles mathématiques à plusieurs milliers d'équations pour chanter les vertus créatrices d'emploi du grand marché sans frontières ou du libre-échange, l'Histoire répond souvent de travers. Ainsi, l'Acte unique européen a soutenu la croissance, mais par anticipation, de 1987 à 1991, et non à partir du 1er janvier 1993. De même, le traité de Maastricht a involontairement attiré l'attention sur les facteurs de divergence des économies européennes, en insistant sur les critères de convergence. Au soir du 1er août 1993, la Communauté s'est bel et bien éloignée du but : elle conserve officiellement le cap sur la monnaie unique, qui est un prolongement logique du marché unique. Mais l'Histoire courte s'est rebiffée contre l'Histoire longue. L'Europe n'a ni les mêmes niveaux de productivité, ni les mêmes niveaux de salaires, ni les mêmes dynamiques socio-économiques, ni les mêmes niveaux d'organisation. Elle continuera sans doute à s'acheminer vers son unité, mais à son rythme, celui d'un escargot. En effet, même s'il est économiquement rationnel et optimal de supprimer tout aléa de change dans un espace multinational commercialement intégré, la monnaie n'est pas seulement un pur support des échanges. Elle a valeur de symbole ; elle est le siège d'une mémoire collective. Celle de l'Allemagne ne coïncide pas avec la nôtre. Les marchés financiers ont jugé, capitaux flottants à l'appui, que les discours sur la convergence des économies et des politiques monétaires sonnaient faux. Ce qui a conduit à modifier sensiblement le SME. Les marges de fluctuation au sein du « serpent monétaire » ont été accrues de plus ou moins 15 % ; le cadre du SME est maintenu, mais vidé de sa substance. L'Allemagne a repris l'autonomie qu'elle souhaitait ; l'incertitude du change est répercutée sur les marchés et sur les entreprises par des Banques centrales aux réserves limitées ; les industriels sont exposés aux aléas de dévaluations dites « compétitives » ; la politique agricole devient plus difficile à administrer.