Dépression française

De la météo...

On sait l'importance que nos compatriotes attachent au temps qu'il fait et surtout à celui qu'il fera, et donc l'intérêt qu'ils portent à la météorologie. On peut ainsi entendre ou lire que le climat social est morose, que l'air du temps est chargé d'électricité, que les nuages s'accumulent au-dessus de nos têtes, annonçant selon les augures des orages ou des ouragans. Bref, après avoir vécu pendant des décennies sous l'influence bénéfique d'un anticyclone (venu, comme il se doit, de l'ouest), la France semble être entrée, depuis quelques années, dans une zone dépressionnaire.

...à la psychanalyse

Mais le mot dépression n'appartient pas seulement au vocabulaire de la météo. Il figure aussi dans celui, plus savant, de la psychanalyse. Les Français comme les experts (c'est le cas par exemple de Tony Anatrella, psychanalyste, dans un livre intitulé Non à la société dépressive (Flammarion), paru en 1993) l'utilisent de plus en plus fréquemment. D'après l'enquête annuelle conduite par le CREDOC, 12 % des adultes disent en effet avoir été dépressifs au cours des quatre dernières semaines. 45 % pensent d'ailleurs qu'ils pourraient un jour souffrir de dépression. La réalité clinique est sans doute moins dramatique.

Symptômes

Les symptômes les plus bénins du mal sont la fatigue, le stress (qui s'apparente aujourd'hui davantage au spleen dont parlait Baudelaire), la nervosité, le mal de dos ou l'insomnie. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : un Français sur deux se dit nerveux, un sur quatre insomniaque ; la consommation de produits hypnotiques atteint 150 millions de boîtes par an. Mais c'est l'évolution dans le temps qui est la plus éloquente : en quatre ans, la proportion de personnes déclarant avoir souffert du dos au cours du dernier mois est passée de 30 % à 46 %. Un accroissement qui ne peut être expliqué par des raisons objectives (conditions de travail, confort de la maison, etc.) et qui apparaît donc comme le résultat probable d'une somatisation.

À un niveau de gravité plus élevé, on peut citer les ruptures de la vie affective, séparations ou divorces, dont la courbe est, elle aussi, régulièrement ascendante. D'autres formes de ruptures peuvent d'ailleurs être observées : professionnelles, entre employés et employeurs ; sociales, entre citoyens et institutions, entre Français et immigrés, entre adolescents et adultes ; technologiques, entre générations d'innovations se succédant de plus en plus rapidement ; psychologiques, entre les individus et leurs images.

Viennent ensuite les états pathologiques comme la paranoïa ou la schizophrénie, dont les psychanalystes nous assurent qu'ils les rencontrent de plus en plus fréquemment chez leurs patients (lesquels sont d'ailleurs de plus en plus nombreux). Enfin, le mal atteint son comble avec la toxicomanie et les conduites suicidaires, ces dernières faisant, depuis quelques années, plus de victimes que les accidents de la route (le taux de suicide des 15-20 ans a triplé en vingt ans).

Cette présence croissante de la dépression, sa banalisation dans le langage ne sauraient être considérées comme anodines. Elles justifient le recours à la psychanalyse pour établir un diagnostic sur l'état actuel de la société. Bien sûr, on peut se demander si cette discipline, dont le champ d'investigation est l'inconscient individuel, est bien qualifiée pour des phénomènes de nature collective. Cela suppose en effet l'existence d'un « inconscient collectif », notion sur laquelle Freud, Adler ou Jung se sont longuement affrontés.

Causes

Le diagnostic dépressif étant établi, il faut maintenant s'intéresser à ses causes. Ici, les avis d'experts sont plus différenciés. Absence de projet collectif, prétendent les uns. Perte de l'idéal individuel, disent les autres. Mais peut-être ces deux explications sont-elles les deux faces d'une même pièce. La disparition progressive des repères traditionnels, caractéristique des années passées, engendrerait une difficulté pour chacun à se situer par rapport aux autres, donc vis-à-vis de lui-même.