Journal de l'année Édition 1994 1994Éd. 1994

La première, sûre et immédiate, consiste à prélever directement des fonds supplémentaires auprès des assurés. Mais ceux-ci ayant déjà été mis largement à contribution grâce aux taxes et à la CSG, l'équité et le bon sens politique interdisaient de s'en tenir là. Aussi le gouvernement compte-t-il sur l'autre volet de son plan, dont les bénéfices éventuels, différés dans le temps, sont, à vrai dire, bien plus aléatoires. Cette phase d'économies différées repose d'une part sur une « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé, d'autre part sur la restructuration du secteur hospitalier.

Le coup d'envoi a tout d'abord été une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG). Consistant initialement en un prélèvement de 1,1 % sur tous les revenus, y compris ceux du capital, cet impôt « de secours », instauré par Michel Rocard et sévèrement critiqué à l'époque par la majorité actuelle, a donc vu son taux relevé à 2,4 % à partir de juillet, moyennant déduction partielle du revenu imposable. Cette mesure devrait rapporter de 30 à 50 milliards de francs en 1994.

Le plan livré ensuite fin juin par Mme Veil, et dont le gouvernement attend encore 32,2 milliards d'économies sur l'exercice 1993-1994, s'applique à mettre à contribution tous les acteurs de la crise. Aux assurés s'imposent deux sortes de mesures. Le ticket modérateur est d'une part relevé de 5 points, la part de la sécurité sociale dans la prise en charge des frais médicaux baissant de 75 à 70 %. La participation du patient (ou de sa mutuelle s'il en a une) aux frais de consultation et de prescription médicamenteuse augmente donc de 5 %, sauf pour les patients dont l'état justifie une exonération de ticket modérateur. Les régimes particuliers qui, tels ceux de la RATP et de la SNCF, assurent automatiquement une prise en charge totale ne sont pas, quant à eux, concernés par ces restrictions. D'autre part, le forfait hospitalier, qui désormais sera également perçu pour le dernier jour d'hospitalisation, passe de 50 à 55 francs. Prélevées automatiquement, les ressources (environ 10,8 milliards) dégagées par ces mesures sont pratiquement déjà acquises. Il n'en est pas de même pour le reste du plan.

Du côté du secteur hospitalier, le « taux directeur sanitaire », qui détermine chaque année l'augmentation de budget dont pourront bénéficier les hôpitaux publics, fixé cette année à 5,5 %, sera réduit à 3,35 % pour 1994, à charge pour les responsables de supprimer lits et services excédentaires. Les élus locaux étant mis à même, en fermant des établissements, d'augmenter le chômage parmi leurs administrés, l'opération, qui devrait rapporter entre 3 et 4 milliards, ne sera ni facile ni indolore.

La maîtrise des dépenses

La « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé, qui s'imposera désormais aux médecins, devrait permettre une économie de plus de 10 milliards. Ce principe, conçu par l'ex-ministre René Teulade, a fait pendant des mois l'objet d'âpres débats entre la CNAM et les syndicats de médecins, dans le cadre de la négociation de la convention médicale qui régit les rapports entre médecins et caisses d'assurance-maladie. Il tend à supprimer toutes prestations médicales inutiles, en instaurant un contrôle rigoureux de l'activité des praticiens. Ceux-ci devront s'en tenir dans leurs prescriptions d'examens et de médicaments au respect de « références médicales », sortes de standards de bonnes pratiques pour les principales pathologies, actuellement en cours d'élaboration. La loi Teulade, passée en janvier 1993, crée par ailleurs des unions professionnelles de médecins (qui actuellement restent à mettre en place), chargées de vérifier à l'échelon local la pratique de leurs confrères. L'instauration d'un codage des actes médicaux donnera par ailleurs à la sécurité sociale la possibilité d'un contrôle. Un dossier médical personnalisé, présenté par l'assuré à chaque consultation et où devront être répertoriées toutes les prescriptions pour éviter les doublons d'un consultant à l'autre, complète ce dispositif censé réaliser un encadrement administratif de l'activité des médecins français sans précédent dans leur histoire.

Simone Veil, confrontée à l'activisme de nombreux députés médecins au sein même de sa famille politique, saura-t-elle obtenir du corps médical le respect de ses objectifs ? Toujours est-il que la convention, dont découlera la mise en place du dispositif destiné à modérer actes et prescriptions, enlisée depuis des mois dans d'interminables argumentations, a effectivement obtenu, le 21 octobre, les signatures des syndicats et des caisses requises pour son entrée en vigueur. L'avenir seul permettra de juger de l'efficacité d'un système que les assurés, d'ores et déjà mis à contribution, jugeront très sévèrement si par malheur celui-ci se révélait inefficace.

Docteur Gilles Monod