Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

La querelle du GATT (les négociations pour un accord général sur le commerce et les tarifs) en a été, à l'automne, la retentissante illustration. Après des mois de discussions infructueuses, les négociateurs américains et européens parvenaient finalement, en novembre, à un accord sur le chapitre des échanges agricoles. La France, estimant que cet accord imposait de nouveaux sacrifices inacceptables à ses agriculteurs, s'éleva alors avec véhémence contre lui, mais se retrouva isolée en Europe. La menace d'un veto français à un accord général sur le commerce mondial a fait vivre à la Communauté européenne, majoritairement favorable au compromis agricole trouvé à Washington, l'un de ses pires moments. L'affaire du GATT compromettait la traditionnelle entente entre la France et l'Allemagne, soucieuse, en l'occurrence, en tant que second exportateur mondial, de voir aboutir les négociations agricoles. Le calme ne revint dans la Communauté que quand chacun eut pris le parti de ne se prononcer que sur l'accord commercial global et pas seulement sur son chapitre agricole. L'affaire était ainsi renvoyée au début de 1993. Cette crise du mois de décembre avait cependant affecté un peu plus la cohésion de la Communauté et sa crédibilité aux yeux des opinions.

La guerre dans l'ex-Yougoslavie a été une autre épreuve pour l'Europe, et pour la diplomatie française en particulier. Après qu'un désaccord sur le fond, essentiellement entre Paris et Bonn, eut bloqué pendant des mois la reconnaissance par la Communauté des Républiques de l'ancienne fédération aspirant à l'indépendance, la France, au nom de la solidarité européenne, a consenti à cette reconnaissance le 15 janvier 1992. L'unité européenne s'est ensuite refaite dans une commune impuissance devant la guerre qui, après avoir ravagé la Croatie, enflammait la Bosnie-Herzégovine.

Échec pour l'Europe, le drame yougoslave a mis aussi en question des idées dont la France revendiquait la paternité : l'idée, chère à François Mitterrand, selon laquelle le droit peut être un moyen de désamorcer les conflits qui surgissent dans l'ancien empire soviétique ; ou encore l'idée du « devoir d'ingérence humanitaire » dont M. Bernard Kouchner s'était fait l'avocat quelques années plus tôt à l'ONU.

Le droit d'ingérence humanitaire allait cependant être invoqué et obtenir sa première vraie reconnaissance par l'ONU en décembre, quand M. George Bush, avant de passer la main à son successeur élu Bill Clinton, demanda l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies pour intervenir militairement en Somalie. Le président américain proposait d'envoyer 25 000 hommes pour une opération de police dans ce pays réduit à la famine par des bandes armées. La France soutint immédiatement cette initiative américaine et décida de mettre à son service 2 000 de ses soldats. Mais ce fut, là encore, l'occasion de regretter qu'une opération s'inscrivant dans le droit fil de l'idée française d'ingérence humanitaire ait été lancée par les États-Unis plutôt que par une Europe encore trop timorée sur la scène internationale. Avec près de 15 000 soldats français engagés sous la bannière de l'ONU, la France a été de loin le plus gros contributeur aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, sans en tirer toutefois, en termes d'influence, le crédit correspondant. L'une des opérations de l'ONU à laquelle elle avait le plus activement contribué, à savoir la mise sur pied d'un règlement au Cambodge, se trouvait en outre compromise, les Khmers rouges, refusant de se laisser désarmer, ayant remis en cause les accords conclus l'année précédente sous l'égide des Nations unies.

Enfin, en Israël comme en Afrique, la France est demeurée largement absente, certains voyant même dans l'omniprésence américaine en Somalie un moyen pour les États-Unis de prendre pied sur un continent échappant peu à peu à l'influence française.

Claire Tréan
Journaliste au Monde