La coupe était pleine, mais elle l'était surtout pour les élus du PS – même s'ils sont loin d'être les seuls fautifs – auxquels les citoyens reprochaient à la fois la pratique d'une corruption contraire à leurs principes et l'art d'en esquiver les effets judiciaires par le vote, en 1990, de mesures amnistiantes. Pierre Bérégovoy l'avait compris depuis longtemps, et ce d'autant plus aisément que sa position personnelle avait été affaiblie par la mise en cause, pour délits d'initiés, de deux de ses anciens directeurs de cabinet au ministère des Finances, Jean-Claude Naouri, impliqué en 1989 dans l'affaire de la Société générale, et Alain Boublil, en 1988 dans celle de Pechiney. S'estimant insuffisamment armé pour lutter contre la corruption par la loi du 15 janvier 1990 relative à la clarification des activités politiques, P. Bérégovoy annonce sa volonté de faire voter un texte plus contraignant lors de sa déclaration de politique générale du 8 avril 1992. Alors qu'il invite les magistrats, par le relais du garde des Sceaux, Michel Vauzelle, à faire un tri entre les élus soupçonnés d'enrichissement personnel (et qui seraient déférés au parquet) et ceux qui auraient seulement tourné la loi pour financer leur campagne électorale, Pierre Bérégovoy décide de soumettre au vote du Parlement un projet de loi sur le financement des partis politiques et « relatif à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques », projet de loi établi sur la base des conclusions de la commission de prévention de la corruption présidée par le conseiller d'État Robert Bouchery.

Projet de loi

Discuté à partir du 13 octobre à l'Assemblée nationale, le projet de loi est finalement adopté en première lecture le samedi 17 octobre 1992, au terme d'un débat marathon, par 272 voix (264 socialistes et 8 non-inscrits) contre 256 et 28 abstentions (26 communistes et 2 non-inscrits), non sans avoir été amputé par les députés de deux dispositions essentielles défendues par le gouvernement à la demande du chef de l'État : l'interdiction du financement des activités politiques par les entreprises ; la publicité du patrimoine des élus (y compris les membres du gouvernement et les maires des villes de plus de 20 000 habitants) qui sont seulement obligés de déclarer, en début et en fin de mandat, la totalité de leurs biens propres, de leurs biens réputés indivis et de ceux de leurs conjoints (même en cas de contrat de séparation des biens) à la commission pour la transparence. Cette commission est présidée par le vice-président du Conseil d'État (Marceau Long), et se compose des premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, destinataires, en outre, de la copie annuelle de la déclaration d'impôts sur le revenu de chacun des élus concernés.

Ainsi édulcoré, ce projet compte trois volets (et neuf mesures) : la création d'un service interministériel de lutte contre la corruption, dépendant du ministre de la Justice qui lui accorde des pouvoirs d'investigation importants ainsi que la possibilité de saisir le procureur de la République dans les cas graves ; la modification du régime de financement des partis politiques (déclaration obligatoire et plafonnement des dons des entreprises à 25 % du total de leurs revenus à partir du 1er janvier 1993) et des campagnes législatives, à partir de 1994 (aide de l'État limitée aux partis présentant au moins 75 candidats – chiffre ramené ensuite à 50 – à des élections, avec un plafond de 250 000 F par candidat, majoré de 1 F par habitant et par circonscription ; élévation du remboursement des dépenses de campagne de 10 à 20 % de leur montant en faveur des candidats ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés) ; instauration de nouvelles règles concernant la transparence des activités économiques (communication des barèmes de prix et des conditions de vente des prestataires de services destinés aux entreprises), création de commissions départementales d'équipement commercial (CDEC) composées de hauts fonctionnaires moins sensibles que les membres des anciennes commissions d'urbanisme aux sollicitations financières des promoteurs de grandes surfaces, mais dont le vote doit rester confidentiel (modification de la loi Royer).

Limites

Cette volonté de transparence se heurte pourtant à plusieurs obstacles dirimants : celui du commerce des armes à l'exportation, dont les commissions versées en dessous de table aux décideurs étrangers continuent à être déductibles du revenu fiscal des entreprises ; celui de la décentralisation, que les députés prétendent défendre en refusant au préfet le droit de déférer au tribunal administratif les actes jugés illégaux d'une collectivité locale, ou celui d'informer directement le conseil municipal en cas de carence du maire ; enfin, en limitant à trois mois le sursis à exécution demandé au tribunal administratif des actes des autorités locales dont le représentant de l'État mettrait en doute la régularité, les législateurs privent l'autorité administrative de tout moyen réel pour limiter la corruption dans les secteurs où ses effets sont les plus pernicieux – celui des transactions immobilières ou celui des spéculations foncières fondées sur la classification des sols. Après avoir été mis en pièces au Sénat, le projet revient à l'Assemblée le 15 décembre. Les députés confirment la possibilité pour les personnes morales de financer les partis, à condition que les dons soient publics et n'excèdent pas 25 % du total des revenus des partis bénéficiaires. Le gouvernement en profite pour doubler l'allocation publique aux partis qui passe à près de 600 millions de francs pour 1993. Cette augmentation constitue-t-elle un prélude à la réalisation de l'idée, chère à Pierre Bérégovoy, d'un financement exclusivement public des partis ?

Chrono. : 6/01, 14/01, 31/01, 5/02, 1/04, 21/04, 23/04, 7/05, 8/07, 9/07, 13/10, 17/10, 3/12, 8/12, 18/12, 19/12.

Edwy Plenel, la Part de l'ombre, Stock, 1992.
Projet, no 232, hiver 1992-1993.

Pierre Thibault