Puis, au terme d'une bataille juridique désespérée livrée par le chef de l'État, la Cour suprême, le 23 septembre, refuse le délai supplémentaire demandé par F. Collor pour préparer sa défense et donne son accord pour que le scrutin portant sur sa mise en accusation soit nominal et public.

Ce scrutin a lieu le 29 septembre : malgré les tentatives de corruption de la dernière heure effectuées par un pouvoir qui a pour cela pris soin de vider auparavant la caisse de nombreux organismes publics, les députés votent, par 441 voix contre 38, l'ouverture de la procédure de destitution qui doit être instruite dans les semaines suivantes par le Sénat. Et c'est le 2 octobre que le vice-président Itamar Franco, jusque-là peu connu et quelque peu tenu à l'écart des affaires par le chef de l'État suspendu, devient président par intérim.

Parlement

Cette crise, qui est aussi celle d'un modèle économique qui est récemment passé, dans la douleur, d'un modèle nationaliste à un modèle libéral contestable, constitue un pas décisif sur la voie de la modernisation démocratique d'un pays où la dictature militaire, installée en 1964, n'a pris fin qu'en janvier 1985 : F. Collor, qui se voulait le symbole de la modernité brésilienne, et qui est le premier président brésilien régulièrement élu depuis trente ans au suffrage universel direct, est également le premier chef d'État latino-américain à être légalement écarté du pouvoir pour cause de corruption. Si la rue a joué un rôle déterminant, le dernier mot est revenu à la représentation nationale brésilienne, qui a su faire preuve de son indépendance par rapport à l'exécutif. En donnant cette leçon de maturité politique et de démocratie, en cet été 1992, le Brésil est « devenu adulte ».

Chrono. : 4/02, 30/03, 24/08, 29/09, 29/12.

Frédéric Seigneur

Isolement

De rares nations demeurent néanmoins rebelles à cette nouvelle donne politique. Ainsi, Haïti, où le régime répressif issu du coup d'État du 30 septembre 1991, qui a contraint le père Jean-Bertrand Aristide, premier chef d'État démocratiquement élu, à prendre le chemin de l'exil, est parvenu, malgré l'embargo commercial décidé en octobre 1991 par l'Organisation des États américains et les efforts diplomatiques de Washington, à se maintenir au pouvoir : assassinats politiques et trafic de drogue y sont en recrudescence et les Haïtiens toujours plus nombreux à tenter de gagner, au péril de leur vie, les côtes des États-Unis sur des embarcations de fortune. Et Cuba, de plus en plus isolée sur la scène internationale depuis l'effondrement du bloc de l'Est, semble avoir choisi de suivre la voie de la répression (exécution, en janvier 1992, malgré les pressions internationales, d'un opposant infiltré dans l'île) et de l'isolement, bien que le Líder máximo ait promis d'organiser des élections à l'Assemblée nationale à la fin de 1992.

De surcroît, deux pays, dotés de présidents élus, connaissent des situations préoccupantes. Au Pérou, le « putsch institutionnel » conduit par le président Alberto Fujimori le 5 avril 1992 au nom de la lutte contre le terrorisme, la drogue et la corruption, a eu pour effet de suspendre le fonctionnement normal des institutions avec la dissolution du Parlement et la suspension des garanties constitutionnelles, et de compromettre la situation financière du pays (faillite des institutions de crédit et des caisses d'épargne et fuite de capitaux étrangers). À porter toutefois au crédit de la politique menée par le président péruvien, qui s'est engagé à démocratiser le régime en novembre 1992, la capture spectaculaire, le 12 septembre à Lima, d'Abimaël Gúzman, chef historique des quelque 25 000 terroristes du Sentier lumineux, organisation maoïste passée depuis douze ans dans la clandestinité. Quoique l'arrestation du « quatrième bras armé de la révolution mondiale », condamné le 7 octobre à la détention à perpétuité, ne signifie pas dans l'immédiat l'éradication définitive de cette guérilla andine.

Haïti

Devant l'Assemblée générale de l'ONU, le président en exil, le père Jean-Bertrand Aristide, réclame un renforcement de l'embargo décidé par l'Organisation des États américains (OEA) à rencontre du gouvernement putschiste en place à Port-au-Prince depuis septembre 1991. Il dénonce « les 3 000 personnes assassinées depuis un an » et « les centaines de milliers de citoyens en fuite ». Il fustige également le Vatican accusé de « reconnaître les criminels de Haïti, pourtant rejetés par tous les États du monde ».

Haïti

Le nombre de réfugiés ne cesse d'augmenter depuis le coup d'État du 30 septembre 1991 qui a renversé le président Aristide. Les Américains ont ainsi secouru, à la mi-1992, plus de 34 000 Haïtiens.

Pérou

Le Sentier lumineux, dont le chef, Abimaël Guzman, a été arrêté, fut créé en 1970 afin de « suivre le sentier lumineux » du père du communisme péruvien, José Carlos Mariategui. Prochinois, le mouvement se réclame de la tendance Pol Pot. Cette organisation redoutable, rassemblant 25 000 combattants, passe à l'offensive en 1980. Après douze ans de guérilla, le bilan se chiffre à 24 000 morts.

Venezuela

Au Venezuela, malgré l'échec de la tentative de coup d'État menée, sur fond de crise sociale, par une partie des forces armées dans la nuit du 3 au 4 février 1992, la situation du président social-démocrate Carlos Andres Pérez, dont la politique néolibérale de choc est contestée par une population qui ne ménage pas ses mouvements d'humeur, demeure précaire : l'horizon est incertain pour un pouvoir tout à la fois incapable de réformer, de moraliser et de moderniser l'État en assurant notamment l'indépendance de la justice, le fonctionnement des services publics et la participation de la société civile à l'exercice du pouvoir, et de résoudre la crise économique d'un pays touché par la baisse des prix du pétrole.

Venezuela : incertitudes économiques

Le taux de croissance s'est élevé à 9,2 % en 1991, et le chômage ne touche plus que 9 % de la population (contre 10 % en 1990), diminution qui s'est cependant accompagnée d'une augmentation de l'« économie souterraine » (36 % de la population active contre 34 % en 1990). Mais les exportations de pétrole souffrent de la mauvaise tenue des cours, l'inflation se maintient à un rythme annuel supérieur à 30 %, et le pouvoir d'achat par habitant diminue, ce qui contribue à multiplier les grèves et les marches de protestation.

Colombie

Il faut, enfin, mentionner la Colombie, où la corruption et l'incapacité des plus hautes sphères de l'appareil d'État, tant politique que militaire, apparaissent, une fois de plus, au grand jour, avec l'évasion, dans la nuit du 21 au 22 juillet, en compagnie de neuf de ses codétenus, de Pablo Escobar, chef du cartel des trafiquants de drogue de Medellín. Ce dernier entendait demeurer dans la « Catedral », sa luxueuse prison d'Envigado, tout à la fois destinée à le retenir et à le protéger de ses nombreux ennemis, d'où il continuait à contrôler ses affaires florissantes. Cette évasion a quelque peu affaibli le président César Gaviria (Parti libéral), qui souhaitait le transfert dans une prison plus sûre de cet encombrant prévenu. Du reste, malgré l'aide de l'armée américaine, ce dernier, dans les semaines qui suivent son escapade, demeure toujours introuvable.

Amérique centrale

En revanche, l'Amérique centrale n'est désormais plus un des champs de l'affrontement américano-soviétique. Là où quelque 100 000 personnes avaient été tuées au cours de la décennie précédente, on renoue avec la paix civile tandis que se poursuivent les processus de retour à la démocratie. Comme au Nicaragua, où, depuis l'élection à la présidence de Violeta Chamorro en 1990, le sandiniste Umberto Ortega est demeuré chef des armées. Comme au Salvador, où les affrontements ont cessé avec l'entrée en vigueur d'un accord de paix, effectif depuis le 1er février 1992, établi, sous l'égide de l'ONU, entre le gouvernement d'Alfredo Cristiani et les guérilleros du Front Farabundo Marti pour la libération nationale.

Salvador

Depuis les années 1980, le Salvador a quintuplé ses effectifs militaires, qui se montent désormais à environ 55 000 hommes (soit près de 3 soldats au km2).

Droits de l'homme

À l'exception, notable, du Sentier lumineux péruvien (qui a provoqué la mort de plus de 24 000 personnes depuis 1980 et causé quelque 22 milliards de dollars de dégâts), la plupart des mouvements de guérilla latino-américains ont déposé les armes ou ont accepté de négocier avec les pouvoirs en place. Néanmoins, la situation des droits de l'homme, quoique davantage prise en compte par les gouvernements, demeure très préoccupante, notamment en ce qui concerne les Indiens, dont un des porte-parole, la Guatémaltèque Rigoberta Menchú, a reçu, le 16 octobre, le prix Nobel de la paix. Le rapport 1992 d'Amnesty international souligne la gravité de la situation au Pérou, où les nombreuses exactions imputées aux forces de l'ordre répondent aux multiples attentats perpétrés par les guérilleros. Selon cette organisation, des forces paramilitaires en Colombie (où le résultat des négociations engagées à la mi-1991 entre le gouvernement et les guérillas semble, un an plus tard, bien incertain) comme l'armée et la police haïtiennes se livrent couramment à des tortures et à des exécutions sommaires. Quant aux prisons cubaines, elles recèlent toujours des prisonniers d'opinion tandis que, au Brésil, des centaines d'enfants déshérités sont victimes des escadrons de la mort enrôlés par des commerçants excédés par la délinquance.

Au Guatemala, les Indiens représentent 58 % de la population, mais ne possèdent que 20 % des terres cultivables.

Le Guatemala et les narcotrafiquants

Environ un million de Guatémaltèques (sur une population de neuf millions) bénéficient, plus ou moins directement, des retombées de la drogue : la culture du pavot est passée de 200 à 2 000 hectares entre 1986 et 1992.

Embellie économique

À l'exception du Chili, dont le redressement économique a été l'œuvre de la dictature, le renouveau démocratique latino-américain semble correspondre à la reprise tant attendue. En 1992, la majeure partie des pays de la région enregistrent en effet les bons résultats des politiques néolibérales mises en œuvre entre 1988 et 1991, après la « décennie perdue » des années 1980 caractérisées par une hyperinflation, un surendettement extérieur et une importante récession. De cette embellie témoignent notamment les rapports de la Banque interaméricaine de développement (BID) et du Fonds monétaire international (FMI) publiés en avril 1992. Ces rapports prévoient que le rythme de la croissance va connaître une forte accélération entre 1992 et 1993, avec une progression du PIB de 2,7 % à 4,2 %, et, parallèlement, une réduction de la dette externe (qui ne représente plus que quelque 37 % du PIB de la région contre environ 64 % quatre années auparavant) et une diminution de l'inflation, qui devrait se stabiliser à 25 % en 1993 après avoir atteint près de 140 % en 1992 et approché 650 % en 1990.

Globalement positif

À l'automne, la situation économique de l'Amérique du Sud semble globalement bonne. L'inflation reste maîtrisée à des rythmes inférieurs à 20 % (Argentine, Chili, Paraguay), sauf au Brésil, où l'on est encore à 1 000 %. L'Argentine accuse une légère baisse d'activité, mais son PIB devrait croître encore de 3 %. Le Brésil ne dépassera pas les 1 %, mais bénéficiera d'une balance commerciale largement positive (12 milliards de dollars). Avec un budget en équilibre, le Chili enregistrera une progression de son PIB de 5,5 %, contre 2,5 % en Colombie. Le Pérou et le Venezuela affrontent pour leur part des situations économiques, et politiques, plus tendues.

Tableau d'honneur

Les principaux pays de la zone sont parmi les meilleurs élèves de la classe. Ainsi, l'Argentine, dont l'inflation dépassait 2 000 % en 1990, devait connaître une hausse des prix de seulement 20 % en 1992. Et, grâce au redémarrage de l'activité industrielle (+ 4,5 % en 1991), les financiers internationaux et les milieux d'affaires redonnent leur confiance à un pays revigoré par une vigoureuse politique d'ajustement notamment fondée sur la restructuration de la dette bancaire, la privatisation de nombreux services publics (téléphone, eau, électricité...) et le transfert (compensé par des rétrocessions d'impôts) de charges de l'État vers les collectivités locales. Malgré, notamment, la surévaluation du peso, la progression de la pression fiscale et la montée du chômage au sein d'une population dont 30 % vit en dessous du seuil de pauvreté, la croissance de l'économie devrait s'accentuer au cours des prochains mois. Le Mexique, dopé par l'Accord de libre-échange nord-américain, parvient à juguler son inflation (prévision de 11 % pour 1992) tout en atteignant un taux de croissance proche de 5 % : les entreprises dont le gouvernement poursuit activement la privatisation trouvent aisément preneur parmi les investisseurs étrangers que n'inquiètent ni l'important déficit de la balance commerciale ni la baisse du pouvoir d'achat. Le Chili, fort d'une croissance de 50 % de son PIB entre 1986 et 1991 et dont l'adhésion à l'Accord de libre-échange nord-américain est favorablement envisagé par les États-Unis, le Panama et, même, le Venezuela, en dépit de sa situation politique préoccupante, ont également beaucoup progressé au cours des derniers mois. Quant au Nicaragua et au Salvador de l'après-guerre civile, ils connaissent, eux aussi, une certaine reprise de leur croissance.

Mexique

Dans une étude publiée à l'automne, l'OCDE salue « les progrès remarquables réalisés par le Mexique dans la formalisation et la mise en œuvre de sa politique économique au cours de la dernière décennie ». L'Organisation prévoit un taux de croissance de 4 % pour 1992, contre 3,5 % en 1991, mais estime nécessaire la poursuite de cette croissance « pour créer des emplois et atténuer la pauvreté encore très répandue ».

Mexique

La pollution ne cesse d'augmenter dans Mexico, la plus grande ville du monde (20 millions d'habitants), dépassant jusqu'à quatre fois les normes maximales admises par l'OMS.

Libre-échange

Ces signes de reprise économique, confirmés par l'afflux de capitaux étrangers, la renégociation de la dette poursuivie dans le cadre du plan Brady dans la plupart des pays, et un accroissement sensible du montant des prêts pour le développement économique, interviennent au moment où la mise en place d'accords de libre-échange vient encourager l'existence de grands pôles de commerce interrégional, comme le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), dont le commerce interne devrait s'accroître d'au moins 20 % en 1992. En revanche, le Pacte andin (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou, Venezuela), notamment mis à mal par le coup d'État civil mené au Pérou et par les disparités de développement existant entre ses membres, paraît au bord de l'éclatement : la Colombie et le Venezuela préfèrent en effet se consacrer pleinement au groupe des Trois (G3) qui les unit au Mexique.

Cuba

À l'écart de ce mouvement se trouve Cuba, singularisée par fidélité au communisme. Si l'évolution politique du régime ne semble donc pas à l'ordre du jour, l'adoption, à la mi-juillet, de modifications constitutionnelles permettant des privatisations et garantissant les investissements étrangers dans les entreprises mixtes pourraient constituer l'amorce d'une inflexion de la politique économique. Il est vrai que le PIB a chuté de 24 % en 1991. De l'avis des dirigeants cubains, 1992 est l'année la plus difficile depuis l'avènement du régime castriste. Les échanges avec les pays socialistes qui, jusqu'en 1989, constituaient 85 % du commerce extérieur de l'île sont aujourd'hui quasi inexistants.