Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

En face, le parti républicain semble s'enfermer dans une rhétorique crispée. En août, la convention de Houston est dominée par un pesant discours d'ordre moral orchestré par les franges les plus conservatrices du parti et par les mouvements fondamentalistes protestants. On voit alors Barbara Bush, la femme du président, lui voler la vedette en entonnant le chant des valeurs familiales menacées par les démocrates et notamment par la « scandaleuse » Hillary Clinton, l'épouse du gouverneur de l'Arkansas qui ose offrir à l'Amérique profonde le spectacle d'une femme indépendante, féministe et classée parmi les cent meilleurs avocats du pays.

George Bush réalise bientôt que cette insistance sur les valeurs morales ne prend pas dans l'opinion. Il recentre alors son discours sur l'économie et le social, renouvelant sa promesse (non tenue) des élections précédentes de ne pas augmenter les impôts et persistant à prôner un effacement du rôle de l'État ; en matière de santé, il continue d'être hostile à l'obligation pour les employeurs de contracter une assurance pour leurs salariés. En face, Bill Clinton plaide pour une relance vigoureuse de l'économie au moyen d'un vaste programme d'investissements publics ; dans le domaine social, il propose la mise en place d'une couverture santé minimale pour tous les Américains et une amélioration en profondeur du système éducatif. Ross Perot, qui est revenu dans la campagne en octobre, a beau jeu de dénoncer l'imprécision du candidat démocrate quant au financement de son ambitieux programme (Bill Clinton assure pouvoir y arriver en réduisant drastiquement les dépenses militaires et en imposant les revenus les plus élevés et les sociétés étrangères installées aux États-Unis).

Le 3 novembre, le scénario prévisible depuis de longs mois se réalise : avec 43 % des voix, Bill Clinton devient le quarante-deuxième président des États-Unis ; derrière, George Bush totalise 38 % des suffrages et Ross Perot 19 %. Le succès des démocrates est complet puisque le Congrès issu des urnes est tout entier dominé par leur parti (58 sièges au Sénat contre 42 aux républicains et 259 sièges à la Chambre des représentants contre 175 à leurs adversaires).

De nombreux observateurs estiment cependant que les Américains ont davantage voté contre le président sortant que pour son challenger. Pour s'imposer, celui-ci devra concilier les deux objectifs principaux, et contradictoires, apparus durant la campagne : relancer l'activité économique tout en réduisant le déficit public (dont Ross Perot a fait mesurer à l'opinion l'ampleur et les risques). Le « changement » se fera dans la prudence.

Albert Gore Junior, né en 1948, est le fils de celui qui fut le sénateur démocrate (libéral de gauche, disciple de Roosevelt) du Tennessee, pendant près de trente ans et auquel il succédera à ce poste en 1976. Il fréquente l'université de Harvard et appuie la candidature d'Eugène McCarthy en 1968. Éphémère candidat à l'investiture démocrate en 1988, il se fait surtout connaître par ses compétences en matière d'écologie. Il est l'auteur d'un best-seller en ce domaine, Earth on balance.

Le 3 novembre, les Blancs ont voté Clinton à 40 %, les Noirs à 81 % et les Hispaniques à 62 %. Ce sont les plus de 60 ans qui ont le plus voté (50 %) en faveur du candidat démocrate, devant les 18-29 ans (44 %) et les 30-59 ans (40 %).

L'équipe économique du président élu

Secrétaire d'État au Trésor, Llyod Bentsen (71 ans, sénateur du Texas, président de la commission des finances du Sénat) ; secrétaire adjoint, Roger Altman (46 ans, banquier de New York) ; directeur du budget. Leon Panetta (54 ans, représentant de la Californie, président de la commission Budgétaire de la Chambre des représentants) ; directeur adjoint, Alice Rivlin (61 ans, économiste) ; chef du Conseil de sécurité économique (organisme nouvellement créé), Robert Rubin (54 ans, banquier de New York) ; secrétaire d'État au Travail, Robert Reich (46 ans, professeur à Harvard) ; chef des conseillers économiques de la Maison-Blanche, Laura d'Andrea Tyson (45 ans, professeur à Berkeley).

Chrono. : 9/01, 10/03, 29/04, 2/06, 17/06, 15/07, 12/08, 20/08, 1/10, 3/11, 22/12, 23/12.

America, Autrement, Février 1992.

Jules Chancel