Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

À la mi-avril, le paysage de la campagne semble fixé : ce sera le démocrate Bill Clinton, 46 ans, gouverneur de l'Arkansas, contre George Bush, 67 ans. Les débats tourneront, en dehors des inévitables querelles sur les personnes, autour de la relance économique, du rattrapage social et des valeurs morales (les problèmes raciaux et de politique extérieure seront largement ignorés). Le président sortant se targue de sa longue expérience du pouvoir au plus haut niveau, se drape dans sa vertu conservatrice et fustige son concurrent, présenté comme un étatiste dévoreur d'impôts et à la moralité douteuse. Les médias s'en donnent à cœur joie sur les supposées infidélités conjugales du jeune et plutôt séduisant gouverneur de l'Arkansas avec une ancienne chanteuse de cabaret et lui font avouer, lui qui a eu vingt ans dans les années 60, qu'il a fumé de la marijuana (mais « sans inhaler », précise-t-il, ce qui fait rire toute l'Amérique) et qu'il a échappé par des moyens peu glorieux à la conscription lors de la guerre du Viêt-nam. Bill Clinton parvient tout de même à se débarrasser de toutes ces « casseroles », confirmant ainsi sa force et sa détermination.

Cependant, un acteur inattendu vient troubler la partition initiale : il s'agit de Ross Perot, milliardaire texan de 61 ans, au discours simple, voire simpliste, aux forts relents populistes (l'habituelle antienne contre les politiciens pourris de Washington), mais qui pose aussi de vraies questions, et d'abord celle de l'effrayant déficit public américain (4 000 milliards de dollars). Le petit bonhomme de Dallas grimpe à une vitesse stupéfiante dans les sondages et oblige les deux grands candidats à se positionner par rapport à lui.

À la fin du mois d'avril, les terribles émeutes raciales de Los Angeles rappellent que l'Amérique vit une grave crise de son système d'intégration des minorités. Toutefois, la campagne électorale ne se fera pas autour de la question raciale. Bill Clinton parviendra à obtenir l'appui du leader noir Jesse Jackson sans avoir à lui offrir en contrepartie la vice-présidence.

Ross Perot est né en 1930 au Texas. Il travaille chez IBM et fonde en 1962 sa propre société, qu'il démarre avec 1 000 dollars ; 22 ans plus tard, il la revend à General Motors pour 2,5 milliards. Pendant la campagne, il ne cesse de répéter qu'il veut aller à Washington pour « mettre le fumier dehors et nettoyer l'étable ».

William Jefferson Clinton est né en août 1946 à Hope, petite bourgade de l'Arkansas, dans un milieu modeste. Après de brillantes études, il finit son droit à la prestigieuse université de Yale. Entré très jeune dans les rangs démocrates, il appuie en 1972 la campagne de George McGovern contre Richard Nixon. En 1978, il est élu gouverneur de l'Arkansas, le plus jeune gouverneur du pays. Deux ans plus tard, il est battu aux élections, mais il prendre vite la mesure de son échec et sera réélu sans discontinuer à partir de 1982.

Petites phrases du candidat Clinton : « Je suis un produit de la classe moyenne. Lorsque je serai président, elle ne sera plus laissée pour compte ». « George Bush a augmenté les impôts de ceux qui conduisent une camionnette et réduit les impôts de ceux qui roulent en limousine. » « George Bush n'a jamais réussi à équilibrer un seul budget. Moi, je l'ai équilibré dans l'Arkansas. Onze fois. » « George Bush se moque de la vision, mais souvenez-vous des Écritures : Sans vision, les peuples périssent. »

« Le ticket » du changement

Au contraire, en juillet, lors de la convention démocrate de New York, il se choisit comme colistier quelqu'un qui lui ressemble beaucoup, Albert Gore, 44 ans, sénateur d'un autre État sudiste, le Tennessee. Beaucoup se demandent si le choix est judicieux ; mais Bill Clinton a mûrement réfléchi ; en prenant comme partenaire un homme très proche, il précise et martèle son message : l'heure est au « changement », avec des dirigeants jeunes, issus d'une nouvelle génération, celle des « baby-boomers » d'après-guerre, plus ouverts que leurs aînés aux problèmes de leur époque comme l'écologie (dont Al Gore est un spécialiste reconnu), et à une réflexion plus sereine sur le rôle de l'État (dans l'économie, dans le social) ou sur les questions de mœurs (avortement, sida). Pour le reste, la plate-forme démocrate se situe dans une prudente ligne centriste, qui ne privilégie pas l'alliance traditionnelle du parti avec les syndicats ou les minorités ethniques.