Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Amérique : l'heure du changement

Janvier. À peine rentre-t-il d'un voyage raté au Japon, que George Bush prend connaissance des chiffres du chômage : 7,5 % de la population active, le plus mauvais résultat depuis cinq ans. Une timide reprise de l'économie semble pourtant se dessiner, mais elle est bien insuffisante pour rétablir la confiance. En fin de mandat, le président sortant ne pourra faire état que d'un bilan bien modeste avec un taux moyen de croissance d'à peine 1 %, contre 2,7 % lors des deux mandats Reagan. Certes, il a maintenu en 1991 l'inflation à 3,5 %, et ramené le déficit commercial à 66 milliards de dollars (contre 102 l'année précédente). Il n'empêche, l'économie américaine souffre de maux structurels qui l'handicapent durablement : une faiblesse de l'investissement des entreprises (9 % du PNB contre 13 % en Allemagne et 20 % au Japon), une dégradation des infrastructures publiques et une grave détérioration du système d'éducation.

Les classes moyennes

La campagne des présidentielles s'ouvre ainsi pour le président sortant dans les plus mauvaises conditions. George Bush semble alors comprendre que l'élection de novembre va se jouer sur l'économie et le social, et d'abord au niveau des classes moyennes. La « middle class » fait ses comptes et ils sont mauvais. En trois ans, le revenu moyen des familles a baissé de 5,1 % ; la part dans la richesse nationale de la petite classe moyenne décline, ne représentant plus que 10,6 % du revenu total des ménages contre 11,6 % en 1980 (alors que dans la même période la part des plus riches passait de 41,4 % à 44,6 %) ; la protection sociale est devenue un cauchemar : à côté des 37 millions d'Américains dépourvus de toute couverture médicale, on estime à entre 40 et 60 millions le nombre de ceux qui sont insuffisamment couverts et qui ne consentent souvent à se faire soigner qu'à la dernière extrémité. Les banlieusards blancs qui forment encore le fonds de la population américaine sont mécontents. Ces électeurs moyens, qui souvent avaient basculé du côté républicain à l'époque de Reagan, se posent des questions. Or, comme le souligne un expert syndical : « Quand la classe moyenne vote contre les pauvres et les Noirs, les républicains gagnent les élections. Quand elle vote contre les super-riches et les grandes entreprises, ce sont les démocrates qui l'emportent. »

La pauvreté (moins de 14 000 dollars de revenu pour une famille de quatre personnes) touche 35,7 millions d'Américains (14,2 % de la population totale, mais 32,7 % des Noirs et 28,7 % des Hispaniques). Le taux était de 15,2 % au début des années 80.

Le taux des homicides atteint 9,8 pour 100 000 habitants (contre 2,3 pour la France). Il y a plus de 210 millions d'armes à feu en circulation aux États-Unis (deux fois plus qu'en 1970) pour 254 millions d'habitants.

Embellie américaine ?

George Bush quitte la présidence en se flattant d'une progression de 2 % l'an du PIB, avec une progression de 3,9 % en rythme annuel au troisième trimestre.

Virage à droite

La course à l'investiture commence durement pour George Bush ; un de ses concurrents, l'ultraconservateur Pat Buchanan, champion de « l'Amérique d'abord » (surtout si elle est blanche), remporte plus de 40 % des voix dans plusieurs primaires. M. Bush en conclut que l'opinion républicaine a franchement viré à droite. Il « droitise » alors son discours, forçant ainsi sa nature plutôt centriste de patricien modéré, ce qui le poussera à commettre plusieurs erreurs. En avril, le problème récurrent du droit à l'avortement revient sur le devant de la scène, quand la Cour suprême doit se prononcer sur une loi restrictive prise par l'État de Pennsylvanie. Les partisans du « pro-vie », hostiles à l'IVG, multiplient les manifestations auxquelles répondent les militants « pro-choix », tout aussi déterminés et qui ne recrutent pas seulement dans les rangs démocrates, mais aussi chez bien des femmes de sensibilité républicaine. D'où l'embarras du président qui, officiellement, appuie les « pro-vie », tout en laissant entendre qu'il a personnellement des opinions tendant vers les « pro-choix ».