Chine

L'argent, tel est probablement le mot qui symbolisera le mieux cette année 1992 en Chine. Répondant au mot d'ordre du patriarche Deng Xiaoping, qui a lancé au début de l'année un appel « à la reprise des réformes économiques et de l'ouverture », les Chinois se sont lancés à toute vapeur dans « l'économie de marché socialiste », une notion assez vague qui prend aujourd'hui le tour d'un capitalisme débridé. Après plus de quarante ans d'éducation aux trois vertus communistes de « frugalité, austérité, égalitarisme », les Chinois découvrent la notion de l'argent et du profit. Un revirement entériné par le XIVe Congrès du parti communiste chinois (PCC) qui s'est tenu à Pékin du 12 au 18 octobre, mais qui provoque une véritable révolution des mentalités et des comportements dans cette société en mutation.

Réformes économiques

En janvier, Deng Xiaoping, le leader chinois âgé de 88 ans, officiellement « à la retraite » depuis deux ans, réapparaît lors d'une tournée très médiatisée dans le sud du pays, notamment à Shenzhen, la « zone économique spéciale » – véritable laboratoire des réformes – que le vieux dirigeant avait consacrée en 1984. Contre l'avis des « durs » du régime (les éléments les plus conservateurs, revenus sur le devant de la scène au lendemain des événements de Tiananmen en 1989), Deng Xiaoping a donc relancé les idées qu'il avançait dès la fin des années 70 et qui ont permis le décollage économique de la Chine entre 1980 et 1988. Le numéro 1 chinois parlait à l'époque des « quatre modernisations » : agricole, industrielle, scientifique et militaire. Désormais, il est question « d'emprunter au capitalisme les éléments qui permettront de construire un socialisme à la chinoise »... Ce revirement s'explique avant tout par l'examen attentif par les dirigeants chinois de la situation de l'ex-Union soviétique, voisine de la Chine. Constatant que « les difficultés économiques étaient à l'origine de la désagrégation et de l'actuel chaos de l'empire soviétique », les partisans de l'ouverture ont pu imposer une vision pragmatique, où s'allient le démantèlement de l'énorme secteur public (déficitaire à 80 %) et l'encouragement des investisseurs privés chinois et étrangers. Les résultats ne se sont pas fait attendre : à la fin de cette année 1992, il est déjà possible de constater que la Chine est en train d'opérer une véritable « révolution industrielle », comparable par son ampleur au décollage des économies occidentales au xixe siècle. Mais les facilités de communication et d'information, la pratique de plus en plus fréquente de transferts de technologie et la célèbre capacité d'adaptation des Asiatiques au monde moderne permettent, au bout de quelques mois, la reprise des réformes. Le taux de croissance annuel (officiel) du PNB est de 13 %. Les statistiques chinoises étant plus qu'approximatives, ce chiffre pourrait varier en réalité, estiment les spécialistes occidentaux, de 7 à 10 % selon les régions, ce qui représente de toute manière le taux de croissance le plus élevé du monde. La Chine se profile déjà comme un « cinquième dragon » (après la Corée du Sud, Hongkong, Singapour et Taïwan).

Retour diplomatique

L'argent aura également été le moteur du réchauffement des relations internationales et des reconnaissances diplomatiques en série qu'a opérées la Chine en 1992. Bouleversant l'ordre établi depuis les années 50 (guerre de Corée), quand Pékin assurait de son soutien le régime du dictateur nord-coréen Kim Il-sung, la Chine décide au mois d'août de normaliser ses relations avec le frère ennemi, la Corée du Sud, devenue un précieux partenaire économique. Les échanges entre la Corée du Sud et la Chine devraient dépasser cette année les 10 milliards de dollars. Des députés taïwanais ont accusé Séoul d'avoir « acheté » ce rapprochement avec Pékin sous la forme de prêts dépassant les 2 milliards de dollars. Les dirigeants chinois semblent, en tout cas, déterminés à privilégier désormais les relations avec les États à fort développement économique, mettant entre parenthèses les considérations idéologiques ou historiques (pour autant qu'il en reste). Le voyage de l'empereur du Japon en Chine, fin octobre (la première visite jamais effectuée par un empereur nippon dans ce pays voisin, envahi et occupé en partie par l'armée japonaise de 1933 à 1945), en tournant la page d'une histoire douloureuse, est probablement la meilleure illustration de ce nouveau pragmatisme diplomatique. L'amitié sino-nipponne devrait encourager l'arrivée en masse des investisseurs japonais, qui pourront ainsi favoriser le développement rapide du continent chinois. Le Japon, qui avait été le premier État à lever les sanctions contre la Chine après les événements de Tiananmen, est déjà son deuxième partenaire économique et investisseur après Hongkong (20 milliards de dollars d'échanges en 1991), et pourrait devenir le premier dans les mois à venir.