Quelques jours plus tard, le 7 septembre, le pays bascule à nouveau dans le sang lorsque les forces armées du Ciskei, un bantoustan, tirent sur une foule de manifestants pacifiques venus réclamer la démission du chef de la junte au pouvoir, le brigadier Oupa Gqozo, jugé trop inféodé au pouvoir blanc.

Cette nouvelle tuerie survient alors que l'ANC lance une campagne de protestation contre les bantoustans hostiles à des négociations qui, à terme, remettront en cause leur pouvoir. Ces États fictifs, créés par Pretoria pour exclure juridiquement les Noirs de l'Afrique du Sud blanche, constituent un important enjeu politique. L'ANC réclame depuis longtemps leur démantèlement. Le gouvernement ne s'y oppose pas officiellement, mais il souhaite les incorporer au sein d'un État fédéral où, transformés en régions, ils jouiraient d'une forte autonomie et constitueraient un contrepoids potentiel à un futur pouvoir central dominé par le mouvement de Nelson Mandela. Un plan qui, il va sans dire, contredit le projet d'État unitaire, non racial et non tribal, défendu par l'ANC.

Une fois de plus pourtant, et malgré les épreuves, le dialogue entre les deux hommes se maintient. Le président sud-africain désamorce la crise en proposant à Nelson Mandela de le rencontrer.

Opinion

Selon une étude réalisée par l'Institut sud-africain des affaires internationales, 69 % de la population blanche pensait, en 1986, que les Noirs devaient entrer au Parlement, contre 66 % en 1992. 72 % des Blancs interrogés estiment qu'il faut réduire l'influence de l'ANC sur la scène politique. Mais 80 % pensent que seules des négociations pourront amener la paix dans le pays.

En avant en arrière

Au cours d'un tête-à-tête, le 26 septembre, les deux hommes s'accordent sur la libération avant le 15 novembre de quelque 500 prisonniers politiques, la mise en place d'une Assemblée constituante, la formation prochaine d'un gouvernement intérimaire et des mesures destinées à mettre fin aux violences (interdiction du port des armes traditionnelles dans les manifestations et clôture des « hostels », ces foyers pour travailleurs migrants célibataires, fiefs des « vigilantes » de l'Inkhata). L'espoir renaît. Toute la classe politique s'attend à ce que le président De Klerk mette en application les résultats des négociations. Mais cet enthousiasme est vite tempéré. Dans son discours prononcé, le 12 octobre suivant, au Parlement du Cap à l'ouverture de la session extraordinaire censée entériner les accords de septembre, le président De Klerk fait marche arrière. Il rappelle qu'il ne transigera pas sur le principe d'un droit de veto de la communauté blanche dans un éventuel Parlement transitoire et critique le « radicalisme de l'ANC et de ses alliés communistes ». Sa proposition implicite d'une participation de non-Blancs au pouvoir est rejetée, ainsi qu'un projet controversé d'amnistie. L'ANC ne saurait se contenter d'un gouvernement multiracial qui ne serait pas issu d'élections démocratiques. Au mois de novembre enfin, il renonce à clôturer les « hostels », face à un Gatsha Buthelezi prêt à utiliser la force pour s'y opposer.

L'Afrique du Sud est au pied du mur. Il se joue entre les deux leaders une partie dont la clef réside, principalement, dans ce fameux droit de veto réclamé par Frederik De Klerk. Son abandon signifierait la fin, à court terme, du pouvoir politique blanc en Afrique du Sud. Mais son principe est inadmissible pour l'opposition noire, car il priverait celle-ci de toute marge de manœuvre une fois à la tête du pays. Nelson Mandela et F. De Klerk devront donc s'accorder sur une solution médiane. Les deux hommes offrent au monde le spectacle étonnant d'une série de ruptures et de retrouvailles, n'abandonnant jamais, même dans les pires épreuves, le fil de la négociation. Mais le temps presse, car la situation économique et sociale est telle qu'on ne saurait attendre longtemps un règlement de la crise politique.

Chrono. : 24/01, 20/02, 17/03, 13/04, 15/05, 17/06, 3/08, 7/09, 10/09, 26/11, 3/12, 19/12.

Pierre Beaudet, les Grandes Mutations de l'apartheid, L'Harmattan 1991.
Tour Lodge, Bill Nasson All, here and now, Hurst and Cy, London 1992.

Christophe Champin