Pour le leader de l'ANC, ces propositions sont inacceptables car, selon lui, elles priveront de fait la future majorité élue de tout pouvoir de décision. Aucune partie n'acceptant des concessions supplémentaires, la réunion se termine sur un constat de désaccord et un blocage des négociations.

Fin de la confiance

Cet échec marque la fin d'une période de relative confiance entre les deux hommes depuis la libération de Nelson Mandela, en février 1990. Accusant le pouvoir sud-africain d'avoir saboté les négociations, l'ANC durcit sa position. Sans pour autant cesser les discussions avec le pouvoir, le mouvement décide une reprise des actions de masse, renouant par la même occasion avec une base radicale, très critique à l'égard de la modération de sa direction.

Mais la rupture est consommée à la suite du massacre de Boipatong, une cité noire proche de Johannesburg, le 17 juin, au cours duquel 35 personnes trouvent la mort. Nouvel exemple de la violence endémique qui règne dans les banlieues noires, ce massacre achève d'altérer les rapports entre le mouvement des Noirs et le gouvernement.

L'ANC considère, depuis longtemps, que la violence constitue le plus sérieux obstacle aux négociations. D'autant qu'il ne s'agit pas d'une violence aveugle. Des enquêtes indépendantes, appuyées de nombreux témoignages, révèlent que les partisans de Gatsha Buthelezi, hostiles à un processus qui laisse de côté leur mouvement, en sont largement responsables, même si l'ANC et l'extrême gauche y ont aussi leur part.

Plus grave, il est avéré que les « vigilantes » (militants de l'Inkhata) ont reçu à plusieurs reprises l'appui de membres des forces de police lorsqu'ils effectuaient des descentes dans les townships (cités noires) où l'ANC est majoritaire. À cela s'ajoutent les nombreux meurtres de responsables des deux mouvements rivaux, dont les coupables n'ont jamais pu être identifiés. Ces crimes sont attribués, pour la plupart, à une « troisième force » qui agirait au sein même des forces de sécurité avec la ferme intention de faire échouer le processus de négociations en envenimant les rapports entre partisans de l'ANC et de l'Inkhata... Les candidats ne manquent pas au sein d'une extrême droite blanche, radicalement opposée aux processus en cours et largement représentée au sein de la police. Cette fois, les relations entre l'ANC et le gouvernement sont proches de la rupture complète.

Le bras de fer

Accusant le pouvoir de complicité avec l'Inkhata, Nelson Mandela se retire de la CODESA et annonce des actions de masse pour le mois d'août. Cependant, il ne ferme pas complètement la porte, en posant plusieurs conditions à la reprise du dialogue (élection au suffrage universel d'une Assemblée constituante, instauration d'un gouvernement intérimaire comprenant des ministres noirs, mesures concrètes pour mettre un terme aux violences et libération des prisonniers politiques).

Le président sud-africain rejette les accusations de l'ANC et exhorte le leader noir à renouer le dialogue en acceptant, notamment, de revenir sur certaines de ses exigences.

« Trop peu, trop tard », pour Nelson Mandela, il n'est plus question de faire marche arrière. La grève générale d'une semaine, organisée, à partir du 3 août, par l'ANC et ses alliés du COSATU (Congrès des syndicats sud-africains) et du Parti communiste sud-africain (SACP), constitue sans aucun doute un succès pour le mouvement. La participation de plusieurs millions de personnes transforme cette démonstration de force en « référendum des sans votes » en faveur de Nelson Mandela et de ses alliés, et resserre aussi les liens entre la direction et la base de l'ANC. Comme Frederik De Klerk après les résultats du 17 mars, Nelson Mandela se trouve à son tour en position de force. Le président sud-africain ne cède pas pour autant immédiatement aux revendications de son partenaire. La subtile partie d'échecs continue.

Les concessions

Certes, le chef de l'État se dit prêt à reprendre les négociations et à faire des « concessions majeures », notamment sur la libération de prisonniers politiques et sur le limogeage de certains responsables de la police, mais celles-ci sont encore jugées insuffisantes pour le leader noir.