Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

La CEI existe toujours, en dépit des malentendus et des réticences. C'est déjà un acquis. Certes, elle a au cours de l'année perdu l'un de ses membres – l'Azerbaïdjan, qui a refusé en octobre 1992 de ratifier le traité communautaire –, et peut à bon droit s'inquiéter des critiques virulentes développées à son encontre par le président de la Moldova. Azerbaïdjan et Moldova souffrent d'un même mal et font, jusqu'à un certain point, les mêmes reproches à la CEI. Ces deux États sont en conflit, le premier avec l'Arménie, le second avec la république autoproclamée du Dniestr, qui est une enclave russe. L'un et l'autre considèrent que la CEI, impuissante à soutenir leur cause, s'est montrée par là inutile, voire dangereuse. En sens inverse, la Géorgie, qui n'a pas adhéré à la CEI, a envoyé des observateurs à certains sommets et ouvert par là l'espoir d'une adhésion. La CEI est affaiblie, non seulement par les arrière-pensées de ses membres et par l'opposition systématique de l'Ukraine à toute institutionnalisation, mais encore, et probablement surtout, par la peur que la Russie inspire à ses partenaires.

Accords et structures

En dépit de ces réticences et griefs, la CEI a, en un an, manifesté de manière concrète son existence. Huit sommets de chefs d'État, et de nombreuses réunions de travail. Plus de 200 documents signés, certes par un nombre variable de membres. Les deux plus significatifs ont été le traité de sécurité collective, signé par six États membres, et l'accord instaurant une assemblée interparlementaire, signé par sept États. Certes, la charte attend toujours de rassembler tous les signataires ; et il est douteux que cet objectif soit atteint à court terme. Cependant, à défaut d'avoir organisé un espace économique commun structuré, la CEI a été le lieu d'arrangements ponctuels, s'agissant des transports, de l'environnement, de la sécurité avant tout. La zone rouble a été maintenue, avec l'exception de l'Ukraine ; et le sommet de Bichkek en octobre 1992 a décidé de la création d'une banque centrale de la CEI, où tous les États auraient une part égale dans la décision. Tous les États, sauf l'Ukraine, ont aussi renoncé à exiger une part des biens à l'étranger de l'ex-URSS ; et la Russie, bénéficiaire de cette renonciation, a pris en charge la totalité de la dette. La CEI est aussi un espace ouvert à la circulation des personnes et des biens, à l'exception de certaines frontières proches des zones de conflit ; mais l'instabilité de certains États a conduit Boris Eltsine à annoncer la mise en place de protections frontalières. L'année 1993 pourrait être marquée par un cloisonnement frontalier de la CEI.

Peut-être la CEI n'a-t-elle pas manifesté encore sa capacité à durer. Mais, au-delà des incertitudes quant à son avenir, on ne peut qu'adhérer au jugement du ministre des Affaires étrangères de Russie, Andréi Kozyrev, pour qui la CEI aura eu un mérite historique incomparable : elle aura permis à l'Empire soviétique d'éclater dans des conditions pacifiques (les conflits interethniques sont le fruit des divisions territoriales lénino-staliniennes de 1921-1923), et d'éviter traumatismes et massacres qui accompagnent généralement la fin des empires ; et dont la Yougoslavie offre aujourd'hui l'exemple terrifiant.

Chrono. : 2/01, 6/01, 11/01, 5/02, 10/02, 5/03, 10/03, 20/03, 21/03, 1/04, 14/05, 26/05, 6/07, 21/07, 3/08, 14/08, 7/10, 14/10, 29/10, 16/11, 26/11, 14/12, 23/12.

Hélène Carrère d'Encausse, Victorieuse Russie, Fayard, 1992.
Youri Afanassiev, Ma Russie fatale, Calmann-Lévy, 1992.

Hélène Carrère d'Encausse
de l'Académie française