Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

La CEI en 1992 : « club présidentiel » ou communauté en progrès ?

S'adressant, le 1er décembre 1992, au Congrès des Députés du Peuple, Boris Eltsine constatait que la CEI n'avait pas pleinement justifié les espoirs mis en elle, un an auparavant. Elle n'avait pas, notamment, contribué à résoudre les problèmes liés à la disparition de l'URSS et à la gestion de son héritage dans les domaines si complexes des biens communs, des infrastructures économiques communes, des équipements militaires et surtout de la force militaire. Ce regard pessimiste sur la première année d'existence de la CEI est-il justifié ? La CEI serait-elle, au bout du compte, comme l'assurent ses détracteurs, une coquille vide ? Ou bien aurait-elle, en dépit des critiques, déjà justifié sa création ?

Naissance de la CEI

Pour aborder cette réflexion, il faut avant tout rappeler les conditions ambiguës de création de la CEI. C'est l'Ukraine, par sa volonté farouche d'indépendance, qui porta, en décembre 1991, le coup fatal à l'URSS. Le référendum du 1er décembre, qui consacrait à une majorité écrasante la rupture entre l'URSS et l'Ukraine, posait le problème crucial de la validité du pacte d'Union signé le 30 décembre 1922 entre la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie, et qui donna naissance à l'URSS. La Russie de Boris Eltsine reconnut au soir du 1er décembre la légitimité de la volonté d'indépendance des électeurs ukrainiens et son corollaire, la disparition de fait de l'URSS. De là, la réunion de Minsk le 8 décembre 1991, où les trois fondateurs de l'URSS en 1922 s'accordaient une nouvelle fois pour constater que l'URSS avait cessé d'exister, mais que le Pacte de 1922 pouvait être reconduit sous une forme inédite, l'association volontaire des trois États slaves dans une indépendance totale. Cette Communauté, c'est la Russie qui en fut l'artisan ; pour Moscou, une seule perspective dominait les événements si rapides de la fin de l'année 1991 : éviter une rupture avec l'Ukraine. Peu importait l'URSS, peu importait le sort des autres États de l'ensemble en disparition, seule s'imposait la nécessité de préserver les liens russo-ukrainiens. Pour l'Ukraine, la Communauté des États slaves n'avait qu'une raison d'être : elle créait un cadre où pouvaient se négocier pacifiquement la dissolution de l'ensemble soviétique et le règlement de tous les contentieux.

Au malentendu initial entre Russes et Ukrainiens sur la signification de la Communauté s'ajoute un second malentendu, lié à son élargissement. Les États d'Asie centrale, conduits par le président du Kazakhstan Nursultan Nazarbaiev, ont d'emblée réagi à la dissolution de l'URSS en récusant le choix russe d'une Communauté purement slave et en imposant la formule élargie adoptée le 21 décembre sous le nom de CEI. Volontaire pour créer la Communauté à trois le 8 décembre, acharnée même à le faire, la Russie subit le 21 décembre la nouvelle construction ; et la CEI, dès sa naissance, devient un ensemble bancal, divisé en trois groupes qu'animent des intentions différentes, voire opposées. Pour l'Ukraine, la CEI, que ce soit dans sa variante étroite ou dans la variante élargie, n'est qu'une instance provisoire, cadre souple pour un divorce pacifique, et qu'aucune structure commune ne doit venir modifier. À l'autre extrémité, les États musulmans de l'ex-URSS estiment que la CEI doit être une Communauté réelle, organisant la vie des États membres, avec des structures permanentes et un projet commun. Au centre, la Russie est attachée à toute construction qui tisserait entre elle et l'Ukraine des liens qui permettraient d'atténuer la volonté de séparation totale toujours manifestée par les Ukrainiens.

Premier bilan

C'est à la lumière des malentendus et des arrière-pensées qui présidèrent à la création de la CEI que l'on peut en tenter un premier bilan. Au terme d'une année d'existence, la CEI, fidèle aux engagements pris par la Russie à l'origine – respecter les exigences « minimalistes » de l'Ukraine –, ne s'est pas transformée en communauté stable. Hormis le texte initial signé lors de la réunion constitutive d'Alma-Ata le 21 décembre 1991, et qui n'a rien d'une charte véritable, la CEI n'a pas élaboré de textes signalant le progrès de la volonté communautaire. Que ce soit dans l'accord de Minsk signé par les trois États slaves le 8 décembre ou dans l'accord d'Alma-Ata réunissant onze États (Russie, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizie, Turkménistan, Tadjikistan, Arménie, Azerbaïdjan, Moldova), les principes essentiels sur lesquels tous les signataires se sont accordés sont, d'une part, la reconnaissance de l'intangibilité de leurs frontières, même dans l'hypothèse du retrait de la CEI d'un État membre, et, d'autre part, le refus de tout abandon de souveraineté et de toute double allégeance. Il n'existe pas notamment de citoyenneté de la CEI.