Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Architecture

Après une décennie de grands travaux qui ont rythmé la vie architecturale en France, de graves problèmes laissés trop longtemps en suspens ont resurgi presque au même moment. D'abord l'enseignement, c'est-à-dire l'explosion démographique dans les écoles d'architecture ainsi que les difficultés de l'insertion professionnelle liées à une formation axée davantage sur le pastiche des modernes ou des postmodernes que sur l'apprentissage approfondi de l'histoire des villes et de leur architecture ; ensuite la baisse très sensible de la construction. Par ailleurs, une sérieuse crise de confiance s'est prolongée entre les Français et l'architecture : s'ils découvrent et apprécient mieux qu'auparavant l'architecture de leur temps, les Français demeurent très éloignés de la culture architecturale et des débats qui agitent le milieu professionnel. Enfin, les architectes eux-mêmes subissent de plein fouet une crise latente qui concerne leur rôle social maintenant dévalorisé.

À ces multiples contradictions et paradoxes, crises et inquiétudes diverses s'en ajoute encore une autre : l'urbanisme, la politique urbaine, autrement dit l'aménagement du territoire, apparaît désormais incapable de réguler les conflits sociaux, en particulier ceux de la banlieue. Ce qui conduit d'ailleurs certaines municipalités, pour tenter de remédier au déficit social chronique de ce non-lieu que constitue la banlieue, à donner en spectacle l'implosion de vieilles HLM. Pour beaucoup, il semble acquis que l'urbanisme ne puisse plus répondre au chaos auquel est soumise la banlieue, parce que ses caractéristiques classiques (le plan, une certaine culture, l'homogénéité du lieu) ne correspondent plus du tout à un schéma organisé, à une typologie d'ensemble viable. On voit cependant certains architectes se saisir de ce chaos en tant qu'outil, pour l'approfondir, le rendre visible, et vouloir reconquérir la ville. C'est le pari de Jean Nouvel ou de Maximilien Fuksas, par exemple, qui, devant l'explosion de la ville moderne et le profond délitement de son tissu, veulent fabriquer une trame nouvelle, en dehors de la composition urbaine classique, s'appuyant en fin de compte sur l'éphémère, le provisoire, le déséquilibre.

L'immense projet urbain d'Euralille, qui illustre – grandeur nature – cette « méthodologie » du chaos, est actuellement mis en œuvre par l'architecte néerlandais Rem Koolhaas. Celui-ci installe un centre international d'affaires situé entre Lille et sa banlieue, à partir du réseau de transports de la future gare TGV. S'agissant d'implanter des activités dites « périphériques » au cœur de la ville, ce projet « futuriste » veut ainsi jouer sur une confrontation dure, antidialectique, de non-intégration, entre l'organisation du passé et la trame postmoderne, ce projet étant localisé à deux pas du centre historique.

Avec le bâtiment de Canal Plus sur le quai André-Citroën, à Paris, Richard Meier a produit l'un de ses objets phares typiques de la permanence de son style américain, et procédant de la démarche dite « de l'objet visible ». À partir d'un double programme (siège administratif et lieu de production audiovisuelle), le bâtiment est une puissante source lumineuse aussi forte de jour que de nuit. Ainsi la nuit, il est comme une balise lumineuse à l'entrée ouest de Paris, et le jour, il est blanc et éclatant comme un bijou.

En Espagne, pour l'Exposition universelle de Séville, le pavillon français construit par les architectes Jean-François Jodry et Jean-Paul Viguier (avec l'aide du plasticien François Seigneur) se présenta comme un vaste auvent soutenu par quatre fines colonnes d'acier inox brossé et poli reposant sur une immense dalle de verre sous laquelle, dans un creux profond d'une vingtaine de mètres, fut posé un écran géant et plat aussi large que le bâtiment. L'écran renvoyait sans cesse l'image du ciel filmé en vidéo et projetée à douze heures d'intervalle : la nuit, le jour ; l'aurore, le crépuscule.

La tour sans fin de l'architecte Jean Nouvel est l'un des projets qui ont suscité quelques polémiques. Implantée à la Défense – un quartier déjà historiquement riche en controverses – la tour ressemble, au premier regard, à une immense cigarette haute de 425,60 mètres. Prévue pour installer divers services (bar panoramique, belvédère, restaurant, clubs de sport), elle recevra surtout de très nombreux bureaux permettant d'accueillir jusqu'à 3 500 personnes. Bien évidemment, elle sera avant tout un objet de contemplation et un lieu de promenades. Cette tour émerge d'un cratère, un trou noir ; elle prend son envol sur une base en granité, mais dont on ne voit pas le socle. Puis, progressivement, le granité, encore mal équarri lorsqu'il émerge du sol, s'adoucit et devient un peu plus mat. Au fur et à mesure que la tour s'élève, la matière accentue encore sa matité, puis prend un aspect plus satiné, brillant, finalement éclatant. Enfin, en haut, la tour se termine par un cylindre de verre transparent. À partir de ce cylindre, les fonctions de bureaux de la tour disparaissent, car il n'y a plus de planchers. L'ensemble y est constitué de structures chromées très légères, de câbles, formant une sorte de filtre sur lequel on peut lire le ciel. D'un point de vue urbain, la tour sans fin sera un objet visible de tout Paris, une pointe affinée dont le rayonnement illuminera l'ensemble de la ville.

Louis Isidore Kahn (1901-1974), architecte américain considéré comme le dernier des modernes, a été célébré dans une exposition au Centre Georges-Pompidou.

Architecture, art de la ville, tel fut le thème retenu pour la semaine de l'architecture en octobre. Ont été ainsi organisées des visites d'agences parisiennes sous la forme de portes ouvertes. La formule « un bus, un architecte » a permis la visite de lieux prestigieux ou de quartiers en pleine rénovation, voire de bâtiments juste achevés. Le Salon international de l'architecture s'est tenu à la Grande Halle de la Villette.

Réformes en architecture : Jean-Louis Bianco, ministre de l'Équipement, du Logement et des Transports, augmente le budget des écoles d'architecture de 37 %, décide de leur accorder une autonomie croissante et de réorganiser les concours (en permettant une meilleure indemnisation des participants).

Décès de James Stirling et de Giullo Carlo Argan

Le premier fut le prix Pritzker en 1981. On lui doit notamment l'extension de la National Gallery de Londres. Le second, historien et critique d'art mondialement connu, fut le maire de Rome de 1976 à 1979. Dans le cadre de son mandat, il proposera une rénovation urbaine audacieuse du centre historique.

Selon un sondage (Le Monde 12/10), 54 % des Français s'intéressent « beaucoup » ou « assez » à l'architecture et à l'aménagement des villes (contre 43 % en 1991). Les trois noms d'architectes les plus souvent cités sont : Le Corbusier (43 % des réponses), Bofill (7 %) et Michel-Ange (4 %).

Le prix Pritzker est attribué au Portugais Alvaro Siza, âgé de 58 ans, qui s'est progressivement acquis, de concours en concours, une renommée internationale. C'est lui qui fut notamment choisi pour reconstruire le quartier du Chiado, à Lisbonne.

Les berges de Paris ont été classées par l'Unesco au patrimoine mondial de l'humanité en octobre 1992. Jusqu'à présent, sur les dix-huit sites français inscrits, aucun ne se trouvait dans la capitale, où se concentre pourtant un nombre extrêmement élevé d'œuvres d'art. Le périmètre concerné couvre la portion des quais qui va du pont Sully au pont d'Iéna.

Architecture, une anthologie (3 volumes), sous la direction de Jean-Pierre Epron, IFA/Mardaga, 1992.

Marc Perelman
Architecte