Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

1992 a donc été plus fertile en bonnes surprises que 1991. Saluons, pour finir, le tour de force d'Hélène Vincent dans Molly Bloom, à Nanterre : en prenant le pari de jouer les soixante dernières pages de l'Ulysse de Joyce, elle nous a rappelés à la nécessité, pour la littérature, de se représenter en action, par le théâtre.

Le 16 juillet, en Avignon, le festival « in » est annulé à cause de la grève des « intermittents du spectacle ». C'est le point culminant de la crise d'un système mis en place dans les années 70, mais aujourd'hui trop coûteux. Être intermittent, c'est avoir droit aux indemnités de chômage pendant un an lorsqu'on a travaillé au moins 507 heures. Le flou de cette disposition permet tous les abus, certes, mais révèle aussi la fragilité de cette profession qui doit bénéficier d'un encadrement institutionnel fort.

Juillet 93 : après huit ans de loyaux services, Alain Crombecque quitte la direction du festival d'Avignon pour celle du festival d'Automne. Bernard Faivre d'Arcier, ancien directeur du Théâtre au ministère de la Culture, le remplace. Il partagera la direction avec une Avignonnaise : c'est la première fois que la ville s'associe explicitement aux affaires du festival.

Charles-Marie-Jaigu

BHL sur les planches

En novembre, sur la scène du Théâtre de l'Atelier, le très médiatique Bernard-Henri Lévy inaugurait sa carrière d'auteur dramatique. C'était la première du Jugement dernier, mis en scène par Jean-Louis Martinelli (à qui l'on devait aussi le montage d'un des spectacles phares de la rentrée, l'Église de Céline, au Théâtre des Amandiers de Nanterre).

Comme à son habitude, BHL a vu large : sa pièce vise à rien de moins que faire défiler toutes les grandes tragédies et les grands espoirs qui ont marqué le xxe siècle. Les témoins de ces convulsions historiques sont des acteurs qui se présentent à l'audition d'un spectacle devant le metteur en scène (joué par Pierre Vaneck) et sa très mystérieuse assistante (incarnée par Arielle Dombasle). Défilent ainsi une ancienne infirmière de Lénine, le chef de gare d'Auschwitz, un professeur partisan des Khmers rouges, une vedette des causes humanitaires, etc.

La critique est partagée. Le Monde, Libération n'apprécient pas et rappellent que le théâtre est un art difficile qui ne consiste pas seulement à enfiler des sujets de dissertation pour classes préparatoires. D'autres, Nouvel Observateur en tête, sont plus enthousiastes et n'hésitent pas à citer Brecht, Pirandello... voire Camus, à qui BHL ne répugnerait pas de ressembler, ne serait-ce que pour le trench-coat, négligemment noué.

J. A.