Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Musique classique : starter pour le xxe siècle

La forte vitalité des régions, quelques mises en scène décoiffantes et des anniversaires à ne pas manquer sont venus à point contrebalancer la morosité de la vie musicale et donner le coup d'envoi à une programmation plus ouverte aux musiques d'aujourd'hui.

Sir Georg Solti a eu quatre-vingts ans en octobre. Ultime détenteur de la tradition des grands chefs d'avant-guerre, c'est lui qui réalisa le premier enregistrement de la Tétralogie de Wagner en 1951, mais il n'aime plus les studios et se tourne vers le « live ». Dans ses nombreux projets : la direction de Pelléas et Mélisande de C. Debussy – son talon d'Achille, a-t-il avoué.

Suite du feuilleton Opéra-Bastille. Les rebondissements de l'intrigue n'en finissent plus. Il fallut un drame, la mort d'une choriste tuée par l'effondrement d'un décor lors d'une répétition d'Otello à Séville, pour que soit révélé le dysfonctionnement de l'institution, entraînant des démissions en chaîne, la suppression du poste de l'administrateur général, Georges-François Hirsch, et le dévoilement de la compromission relative à la saison 91-92.

La terreur de l'Audimat a gagné la direction de France-Musique préoccupée par la concurrence privée. Une nouvelle grille très controversée, proposée par Claude Samuel, a suscité la création d'une association (les Amis de France-Musique) décidée à défendre l'affirmation d'une certaine idée de la culture musicale. Le fléau rentabilité a donc frappé. À ce jeu difficile que le marketing arbitre, la France n'est cependant pas la plus perdante, certains pays de la Communauté (le Portugal) ayant vu la suppression de leurs orchestres de radio et d'opéra. La vie musicale reste décidément houleuse, les musiciens d'orchestre (Opéra et Paris) ne s'accommodant pas des pouvoirs de l'administration.

Paris a perdu le monopole de l'événement, de la variété et de l'originalité des entreprises face aux métropoles régionales dont la politique musicale fait envie. Les institutions progressent, les lieux se multiplient. Bordeaux a offert à l'Hexagone un Grand Théâtre (inauguré en 1780) restauré et reconstruit à l'identique. Artistes atypiques, jeunes solistes, œuvres inédites et festivals thématiques restent l'apanage des régions, où les choix sont clairs. Les collectivités locales s'accommodant du recul de l'État ont pris le relais du soutien financier. Si Aix-en-Provence a souffert d'une privation partielle de ressources, partout ailleurs, l'exemple est donné d'une vitalité qui change le paysage musical.

Une nouvelle salle de concert à Paris

La coupole Haussmann des grands magasins du Printemps peut désormais accueillir 350 auditeurs. Léon Salto, président-directeur général, a confirmé la nouvelle vocation culturelle du Printemps et son désir d'entretenir une programmation musicale destinée à faire découvrir les grands artistes de demain.

Le MIDEM a confirmé que la musique en difficulté tente de se réfugier vers la panacée de l'audiovisuel, cultive plus que jamais une perception dévoyée des œuvres, par le biais de mises en scène dérangeantes, permettant de croire au renouveau d'un répertoire ressassé. Metteurs en scène médiatiques que le 7e art ou l'ire des conservateurs ont rendus célèbres s'attaquèrent au répertoire du xxe siècle. Roman Polanski monta les Contes d'Hoffmann à l'Opéra-Bastille, Patrice Chéreau, Wozzeck au Châtelet, Peter Sellars, le Saint-François d'Assise d'O. Messiaen à Salzbourg, puis à l'Opéra-Bastille. Ils ont largement ouvert les portes au répertoire du xxe siècle, plus entendu en France cette année.

L'aventure des années 20 a commencé sur les ruines de l'Europe avec Darius Milhaud, Arthur Honegger et leur complice au groupe des Six, Germaine Tailleferre ; elle s'est poursuivie dans la perspective de l'Europe pour le centième anniversaire de leur naissance. Le Châtelet (saison « Musiques du xxe siècle »), l'Opéra-Bastille, Radio-France et la Ville de Paris (xve Festival d'art sacré) leur ont rendu hommage. Un anniversaire en cachant un autre, Caen, Évreux et Strasbourg, capitales de la musique contemporaine, ont donné le coup d'envoi à toute une série de manifestations qui, dans le monde entier, ont fêté le soixante-dixième anniversaire de Yannis Xenakis.

La Poste à MUSICORA

Un carnet de six timbres consacrés à des musiciens français a été mis en vente pendant le salon. Hommage fut ainsi rendu à trois compositeurs du groupe des Six dont on fêtait le centenaire, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Germaine Tailleferre.

L'automne marquait un tournant. La création musicale d'aujourd'hui fut à l'honneur, faisant l'objet de nouvelles dispositions de l'État, communiquées par le directeur de la Musique et de la Danse dans le cadre du festival Musica de Strasbourg. Le budget de la création sera doublé. Des contrats « musique nouvelle » seront signés entre l'État et toutes les scènes nationales et des fonds régionaux pour la création seront versés. 92 a pris en compte la musique de son siècle. Des dispositions budgétaires, soit, mais peu de conditions d'écoute et de préparation du grand public ! Il a fallu un film (Tous les matins du monde) pour voler la musique baroque à l'exclusive de ses aficionados. Jean-Baptiste Lully et Henri Dumont seront les grands bénéficiaires de ce départ en flèche. Que faire pour la musique d'aujourd'hui ?

Année Rossini : Regain de passion

Le théâtre du Châtelet lui avait consacré, il y a cinq ans, un cycle important au cours duquel le public, très enthousiaste, n'avait donné, cependant, qu'un pâle reflet de l'engouement que ce compositeur suscita en son temps. Ce « Napoléon de la musique » (l'expression est de Stendhal) déclencha une émeute en arrivant à Paris en novembre 1823. Consacré par Milan et Venise, connu du monde entier, il vint conquérir les scènes parisiennes, provoquant une hystérie collective à chacune des représentations d'un de ses opéras. Né le 29 février 1792, le destin lui devait ce bicentenaire, sur une année bissextile. La France, à l'honneur, a repris certains opéras (Lille, Le Turc en Italie, Tourcoing, Ciro in Babilonia) jamais entendus et lui a consacré maintes soirées de récitals, confirmant le talent de « rossiniennes » reconnues, dont l'irremplaçable Marilyn Horne. Une nouvelle adéquation entre cette musique et le public contemporain a été mise au jour.

Le manuscrit du Boléro de Ravel et neuf de ses lettres ont été retrouvés aux États-Unis. Mis en vente, ils ont été préemptés par la Bibliothèque nationale, avec d'autres œuvres de musique française dont la sonate no 2 pour violon et piano de G. Fauré et des mélodies de F. Poulenc extraites du Bestiaire. Une enveloppe spéciale du ministère et des fonds privés ont permis l'achat de ces documents.

La bibliothèque-musée de l'Opéra a fait peau neuve, repensée par le décorateur et scénographe Richard Peduzzi et l'architecte en chef de l'Opéra, Jean-Loup Robert. Ouverte au public, elle renferme tableaux, maquettes, bijoux, costumes, affiches, manuscrits, etc. Programmés en 92 : une exposition sur les Ballets russes, un hommage à Pier Luigi Pizzi et une exposition « Rossini et l'opéra ».

Philippe Beaussant, Lully ou le musicien du soleil, Gallimard.
Sylvette Milliot et Jérôme de la Gorce, Marin Marais, Fayard.
Marc Honegger et Paul Prévost, Dictionnaire des œuvres de l'art vocal, Bordas.
Jesus Aguila, le Domaine musical (Pierre Boule : et vingt ans de création contemporaine), Fayard (publié avec le concours de la SACEM).

Catherine Michaud-Pradeilles