Cinéma

Si, à la veille de la « Grande Europe », un certain nombre de coproductions entre pays membres se concrétisent, grâce au partenariat actif de la France (les grands bénéficiaires sont les cinéastes polonais – Novembre, de Lukasz Karwowski – et ceux de l'ex-URSS – Luna Park, de Pavel Lounguine), il faut bien reconnaître que les films européens circulent mal dans les pays de la communauté. Le cinéma américain mobilise 75 % du marché italien, 80 % de celui de l'Allemagne et 90 % du marché britannique. Même la France, pays qui résiste le plus à ce phénomène, voit ses écrans envahis par près de 60 % de produits originaires d'outre-Atlantique.

« Le cinéma est une industrie. Mais est-il encore un art ? Ennuyeuse à force d'être posée, la question démontre, par sa formulation même, que nous sommes entrés dans une période de dévalorisation du cinéma. L'art valeur spirituelle, valeur d'exemple, est en train de se laisser domestiquer par les lois qui régissent cette époque : celles du marché. Nous vivons immergés dans une logique de consommation, qui incite à produire toujours plus – flux tendus, zéro défaut, obligation de résultat... –, à viser le plus grand nombre, à accroître les volumes, à conformer l'œuvre aux besoins de la demande... À y bien regarder, le rêve de l'homme de marketing (sortir le produit qui correspond aux attentes du marché) est déjà dépassé : l'idéal vise à fabriquer un consommateur adapté au produit, et cela donne McDonald's. » Jean-Jacques Beineix, l'Expansion, no 434, 16 juillet/2 septembre 1992.

Patrimoine

Ce sont des institutions de type muséal (Beaubourg, la Cinémathèque française, le musée d'Orsay, le Louvre, le Jeu de paume), qui, désormais, se consacrent à l'exploration approfondie d'une cinématographie nationale (Pologne et Mexique au Centre Pompidou ; la France des années 1900-1950 à la Cinémathèque dans le cadre de CinéMémoire ; le cinéma israélien au Jeu de paume), à l'approfondissement de la carrière d'une actrice (Asta Nielsen, grande star danoise du muet à Orsay) ou d'un auteur (l'intégrale Peter Greenaway au Louvre, et Satyajit Ray à la Cinémathèque).

À l'abri, en principe, de l'économie de marché, ces lieux privilégiés envisagent le cinéma dans sa dimension culturelle et forment les spectateurs du futur. L'exemple le plus remarquable est celui de la Cinémathèque française. Tombée en désuétude jusqu'en 1991, elle connaît, depuis la récente nomination de Dominique Païni à sa direction, un grand regain de vitalité. À la présentation désordonnée d'œuvres succède un véritable programme pédagogique où le film (présenté dans le cadre de cycles thématiques) est une partie d'un tout qui comprend un secteur édition, des conférences, des expositions (celle consacrée au pionnier du précinéma Émile Reynaud a eu beaucoup de succès). La cinéphilie passive n'y est désormais plus de mise.

Dominique Païni, nouveau directeur de la Cinémathèque française : « Le premier constat que j'ai fait en arrivant à la Cinémathèque, c'est, bien entendu, que la programmation était un élément moteur et essentiel. Je crois que l'histoire du cinéma est une histoire des styles. Ma mission est de faire découvrir que les films ne se ressemblent pas, ne naissent pas égaux. Entre les programmations monographiques, je reviens fréquemment à un programme dit « histoire permanente du cinéma ». Dans le futur palais de Tokyo, il y aura une salle consacrée à une rétrospective permanente des films essentiels. C'est un travail que faisait Langlois... Comparer est, pour moi, un mot clé. C'est ce qui distingue la Cinémathèque de l'exploitation cinématographique, pour laquelle le critère n'est pas esthétique mais économique. Comparer est une obsession pour qui aime le cinéma. » Entretien avec Dominique Païni réalisé par Thierry Jousse, Charles Tesson et Serge Toubiana, Cahiers du cinéma, no 459, septembre 1992.

Serge Daney (décédé en 1992), ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma et chroniqueur à Libération, fondateur de la revue Trafic : « C'est bien de revoir les films, une revue est faite pour revoir, et peut-être pour voir ce qu'on n'a pas vu la première fois. Dans un climat ambiant de médiatisation un peu désespérée, un peu médiocre et un peu sauvage, l'idée de faire une revue m'est apparue, non comme un programme original, plutôt comme si j'avais pris le Littré et regardé au mot « revue » pour voir de quoi il s'agit. » Serge Daney, Cahiers du cinéma, no 458, juillet/août 1992.

Cinéma français : le fossé

Contrairement à l'année passée qui vit la consécration d'auteurs français confirmés, à forte personnalité (Pialat, Rivette, Téchiné), l'exercice 1992 se partage en grosses machines tentant de battre (en vain) les Américains sur le terrain de la superproduction et en œuvres de débutants en qui on a toutes les raisons d'espérer.