Ces réaménagements jugés insuffisants par les pétitionnaires n'ont pas fait taire la grogne, d'autant que le fonctionnement du futur établissement, estimé à plus d'un milliard de francs, semblait exorbitant à certains. Après ces retouches, une modification de taille vint bouleverser l'organigramme de la Bibliothèque de France. Jean Gattegno, délégué scientifique de la Bibliothèque, était, au mois de mars, prié de donner sa démission. « Il n'y a pas de mystère, remarquait-il, j'ai le sentiment que la ligne suivie par le comité scientifique ne correspond plus à ce que les autorités de tutelle souhaitent. » Effectivement, de réajustements en corrections, le projet initial se trouve considérablement simplifié. Au bout du compte, les quatre tours qui se dresseront au-dessus de la Seine abriteront une bibliothèque nationale convenablement informatisée et une bibliothèque d'information ouverte au grand public. Hélène Waysdbord remplacera bientôt Jean Gattegno.

Le triomphe des musées

Les autres Grands Travaux se poursuivent sans problème, mais avec quelque retard pour la Cité de la musique que Christian de Portzamparc construit en bordure du parc de la Villette. L'Opéra-Bastille a touché, en décembre, ses ateliers de décor. Il lui reste à achever sa salle modulable, dont la construction se poursuit avec lenteur. Le Grand Louvre va plus vite. Il suit son calendrier. La cour Napoléon a retrouvé sa splendeur du second Empire. Le réajustement intérieur des volumes dans l'aile autrefois occupée par le ministère des Finances continue. Autour de la cour Carrée, trente-neuf salles dédiées à la peinture française ont ouvert en décembre. Le Grand Louvre est le symbole même de l'explosion des musées en France. Quatre cents chantiers de construction, d'extension ou de rénovation ont été ouverts en une décennie. Cette année, Lille, Grenoble, Clermont-Ferrand, Épinal, Rouen, Lyon, Nice et Nîmes ont inauguré des bâtiments nouveaux ou lancé des travaux. Cependant, la crise – sinon la mauvaise gestion de certaines municipalités – gêne la bonne marche de certains chantiers.

Retour au texte

Une chose est certaine : les musées sont devenus des centres culturels, au détriment des maisons de la culture chères à André Malraux, dont les survivantes se sont résolues à être des théâtres à part entière. Dans le monde de la scène, un retour à de stricts critères de gestion a permis de combler les déficits engendrés par les libéralités de Jack Lang. Cet indispensable assainissement a d'abord effrayé les créateurs. Il leur a permis ensuite de dégager les moyens d'un nouveau développement.

Une nouvelle génération a trouvé ces derniers mois auprès du ministère les moyens que leurs grands aînés (Chéreau, Lassalle, Savary) avaient failli monopoliser. Le risque est, bien sûr, la multiplication anarchique des spectacles et des salles. Dans cette abondance semble se dégager une tendance nouvelle : plutôt que de se substituer à l'auteur, le metteur en scène s'efforce de renouer avec le texte et d'en renouveler la lecture. C'est ainsi que Stéphane Braunschweig a proposé une Cerisaie qui donne de Tchekov une vision qui rompt avec les habitudes ; c'est ainsi que l'on a joué à nouveau, après des années d'oubli, le Désir sous les ormes, d'Eugène O'Neil, dans une mise en scène de Matthias Langhoff, et que Patrice Chéreau s'est consacré à Botho Strauss pour monter la Chambre et le temps. Ce souci du texte incite aussi à faire découvrir des auteurs contemporains, tel Edward Bond, dont Alain Françon a mis en scène la Compagnie des hommes.

Le spectacle vivant ne se porte donc pas trop mal en dépit de la crise. La danse en est un autre exemple. Le festival de Montpellier a trouvé sa vitesse de croisière, la Biennale de Lyon est devenue un événement et, consécration, des chorégraphies contemporaines et des jeunes compagnies sont désormais invitées au palais Garnier, naguère temple du ballet classique. Quelques jours avant sa mort, Dominique Bagouet se voyait ainsi reconnu. Autre événement, le festival d'automne a accueilli Enter de l'Américain Merce Cunningham.

Volontarisme

La réussite la plus incontestable de la politique volontariste du ministère est cependant celle qui touche le cinéma. Certes, on ne voit pas venir la fin de la crise de l'exploitation en salles : les spectateurs se font rares, même si la chute du nombre des entrées semble se ralentir. Mais, dans une Europe qui voit, surtout à l'Est, l'effondrement de ses cinématographies nationales, la France peut présenter un bilan plus qu'honorable (140 films d'initiative française produits en 1992). À côté de réalisateurs confirmés, tel Bertrand Tavernier, dont L627 a drainé un public nombreux, de nouveaux venus, Arnaud Desplechin et Cyril Collard, auteurs respectivement de la Sentinelle et des Nuits fauves, ont rencontré le succès. Parallèlement, le ministre a commandité une enquête, le rapport Cluzel, afin d'établir un bilan de la création actuelle et de dessiner des perspectives.

Même politique enfin en matière de musique, où ont été inaugurées des tables rondes consacrées à la création, tandis que l'Opéra-Bastille continuait sa carrière chaotique, de crise en licenciements et de démissions en nominations contestées. L'année a cependant été marquée au premier chef par la mort d'Olivier Messiaen et par deux centenaires, ceux d'Honegger et de Milhaud. À cette occasion, la musique française du premier tiers du xxe siècle a été remise à l'honneur, musique d'avant les révolutions modernistes de la musique dite contemporaine.

Philippe Dagen et Emmanuel de Roux
Journalistes au Monde