Culture : de l'invention à la gestion

L'année 1992 a été marquée par la réunion, sous la même autorité, des ministères de la Culture et de l'Éducation nationale. Jack Lang, qui portait sur sa carte de visite des titres déjà multiples – Communication, Grands Travaux, porte-parole du gouvernement, maire de Blois –, ajoute donc une nouvelle mention. Ce stakhanovisme du portefeuille en a fait sourire plus d'un. Il y a pourtant longtemps que le professeur de droit international réclamait cette nouvelle mission. À chaque échéance nouvelle, il réitérait cette demande auprès du président de la République. Cette fois, Jack Lang a obtenu satisfaction à la faveur du départ d'Édith Cresson et de l'arrivée de Pierre Bérégovoy à l'hôtel Matignon.

Vers une histoire totale des cultures

Allait-il négliger la rue de Valois pour la rue de Grenelle ? Sa réponse fut donnée à l'automne lorsqu'il annonça que le budget de la Culture [Ce budget s'élève à 13,8 milliards de francs – 11 milliards hors crédits prévus pour les Grands Travaux parisiens. La croissance de ce budget (+ 6,5 % par rapport à 1992) est plus rapide que celle des dépenses de l'Etat (+ 3,5 %).] atteignait désormais 1 % du budget de la nation, un chiffre symbolique, une vieille revendication qui faisait partie du programme socialiste bien avant 1981. De plus, le ministre de la Culture profite de son passage à l'Éducation nationale pour donner un coup de pouce aux enseignements artistiques, domaine où la France est très en retard par rapport à ses voisins européens. Des crédits sont débloqués. Ces moyens supplémentaires devraient permettre la généralisation des classes culturelles dans le secondaire et des ateliers de pratique artistique.

En effet, si Victor Hugo est au programme des collèges et des lycées, ni Delacroix ni Berlioz n'y figurent – et encore moins Eisenstein ou Jean Renoir, même si le cinéma commence timidement à entrer dans une des sections du baccalauréat. Les universités sont à peine mieux loties : on ne professe l'histoire de l'art et la musicologie que dans quelques établissements parisiens et provinciaux, et aucun diplôme d'enseignement ne sanctionne ces études. S'il existe des CAPES et des agrégations pour l'enseignement des arts plastiques, ils sont inexistants dans le domaine de leur histoire. Pour combler cette lacune cent fois dénoncée, le ministre, profitant de sa double responsabilité, a annoncé début novembre une série de mesures et de créations.

La première concerne un Institut international d'histoire des arts et du patrimoine. Un linguiste, Pierre Encrevé, a été chargé d'une enquête et d'un rapport. Ce dernier a servi de base à la création de cet institut. Celui-ci entend rassembler sous un même toit tous les arts, de la sculpture au cinéma et de la danse au théâtre. L'interdisciplinarité est son principe essentiel. Il a donc pour fonction de réunir tous ceux, chercheurs, conservateurs, universitaires, dont les travaux portent sur l'une ou l'autre ou plusieurs de ces pratiques. Il s'agit en somme d'accomplir le projet d'une histoire totale des cultures, dont les éléments étaient jusqu'à présent dispersés entre des établissements parfois antagonistes et trop peu accoutumés à collaborer. Désormais, ces professionnels pourront se rencontrer rue de Richelieu, dans les bâtiments progressivement libérés par la Bibliothèque nationale. Indissociable de ce centre, une future Bibliothèque nationale des arts sera logée au même endroit. Elle sera constituée de plusieurs fonds, bibliothèque Jacques Doucet et bibliothèque du Louvre essentiellement, au total plus d'un million et demi de volumes.

Polémique et pétition

Emmanuel Le Roy Ladurie, administrateur général de la BN, est chargé de veiller à l'opération. Mais ce n'est pas sa fonction principale. Il est surtout attentif au déménagement du département des Imprimés qui doit gagner les magasins de la Bibliothèque de France en construction quai de la Gare, de l'autre côté de la Seine. Construction qui a provoqué, on le sait, de violentes polémiques. Fin 1991, sept cents chercheurs avaient signé une lettre ouverte au président de la République pour protester contre l'architecture et la future répartition des espaces prévus pour les livres et les lecteurs. Un rapport avait été demandé par l'Élysée au Conseil supérieur des bibliothèques, qui, début janvier 1992, remettait des conclusions balancées. Sans mettre en doute la viabilité du projet conçu par l'architecte Dominique Perrault, ce rapport suggère plusieurs recommandations qui touchent à l'homogénéité du bâtiment, aux transferts de rayonnage dans son socle aux dépens des tours et à la fluidité de la circulation. Le président de la République accepta de très légères modifications : les tours seront rognées de huit mètres, salles de conférences et de réunions seront supprimées pour loger des magasins supplémentaires. Il y aura désormais deux cents kilomètres de livres dans les tours, et autant dans le socle, de quoi tenir au moins un demi-siècle.