L'industrie française face à la mondialisation

Le récent redressement des échanges extérieurs de produits manufacturés témoigne de l'amélioration jugée durable de la compétitivité mondiale de l'industrie française.

Une heureuse surprise

Depuis octobre 1991, la balance commerciale de la France est revenue à l'équilibre, puis à l'excédent. Tranchant avec une décennie de dégradation des soldes extérieurs, il s'agit, pour 1992, d'un résultat historique. Depuis 1974 et le premier choc pétrolier, les échanges extérieurs ont été presque constamment déficitaires, à l'exception de 1975, 1978 et 1986. Ces années d'excédents modestes – tout au plus de 7 milliards de francs en 1975 – ont été regardées comme autant d'exceptions à la règle : l'économie semblait incapable d'équilibrer ses échanges avec l'étranger. L'année 1992 marque une rupture : le résultat des neuf premiers mois de l'année dégage un solde positif de 23,1 milliards alors que l'année dernière, à la même époque, le trou atteignait 32,1 milliards. Pour toute l'année, il a été attendu un résultat proche de 25 milliards en 1992, bien mieux que le léger équilibre anticipé en début d'année.

D'une façon générale, l'équilibre du commerce extérieur français dépend de la variation du solde des produits industriels. Historiquement, la France couvrait par un excédent industriel son déficit énergétique. Quand ce dernier fut creusé par les chocs pétroliers, un déficit apparut : le pétrole, était payé par les exportations industrielles, armement notamment. A partir du milieu des années 1980, la tendance se renversa : avec une facture énergétique divisée par deux (94,8 milliards de francs en 1991, au lieu de 189 milliards en 1984), l'excédent manufacturé de 60 milliards constaté en 1983 s'est transformé en 1990 en un déficit du même ordre. Ce recul très brutal de 120 milliards s'explique par plusieurs causes. En premier lieu, la défaillance des marchés privilégiés de l'industrie française (en particulier, l'OPEP et les pays à économie planifiée) a entraîné une réduction des exportations de 13,4 % à seulement 5,3 % en 1988 et guère plus depuis. En second lieu, compte tenu de la forte baisse du dollar pendant la même période, les exportations françaises se sont fortement réorientées vers la Communauté européenne (61,3 % en 1990 contre 52,9 % en 1984). En troisième lieu, l'essor des investissements directs français à l'étranger, qui sont passés de 20 milliards de francs en 1986 à 150 en 1990, a joué dans le même sens : les filiales françaises à l'étranger créées par ces investissements directs produisent les biens qui se substituent aux exportations françaises, si bien que l'excédent industriel aurait dû être plus élevé.

Performances

Le redressement du commerce extérieur constaté depuis le milieu de 1991 a été attribué aux performances de l'industrie, qui a su restaurer, puis maintenir sa compétitivité. Mesurée par le rapport des prix à l'importation sur les prix à l'exportation, la compétitivité-prix s'est d'abord améliorée progressivement dès 1986, puis s'est stabilisée de 1989 au milieu de 1991, pour progresser par la suite. Plusieurs facteurs ont contribué à cette réussite. Les industriels ont su profiter de l'unification allemande pour intensifier leurs ventes, ce qui a permis de soutenir l'activité économique. D'autre part, au moment même où les exportations vers l'Allemagne baissaient, le relais était pris par le reste de ses partenaires, particulièrement les pays européens. Du coup, dans une économie mondiale déprimée, la France est parvenue à maintenir un taux de croissance supérieur à celui de ses voisins, grâce à ses exportations (compensant une consommation ralentie et un investissement en perte de vitesse). La balance commerciale représentera près de la moitié de la croissance en 1992, aux alentours de 2 %.

Désinflation compétitive

Le rééquilibrage de la balance du commerce extérieur doit beaucoup non seulement à la politique connue sous le nom de « désinflation compétitive », mais aussi et surtout aux efforts de l'industrie pour s'adapter à une évolution tout à fait nouvelle connue sous le nom de mondialisation. D'un côté, avec un taux d'inflation plus faible que celui de ses voisins, les produits français sont devenus chaque année de plus en plus compétitifs : la lutte contre l'inflation a incité l'industrie à comprimer ses coûts à travers notamment une réduction des coûts salariaux et par une meilleure organisation. D'un autre côté, les parités au sein du système monétaire européen (SME) n'ont pas bougé depuis 1987 et jusqu'en septembre 1992. En conséquence, la valeur des devises n'a pas été ajustée pour tenir compte de la perte de compétitivité de certains pays (Grande-Bretagne notamment). Au contraire, la France disposait d'un avantage concurrentiel en raison de la sous-évaluation de sa monnaie. Les dévaluations des monnaies espagnole, britannique et italienne en septembre 1992 auraient pu menacer la position concurrentielle de la France. Il n'en a rien été. En définitive, en prenant une part aussi grande et active au redressement des échanges extérieurs, l'industrie a su tirer profit non seulement de la politique de désinflation compétitive, mais aussi d'une évolution récente, indépendante d'elle, à savoir la mondialisation des activités économiques.

Mondialisation

Depuis le début des années 1980, un fait nouveau est apparu, l'ensemble des secteurs industriels (de l'industrie chimique à l'industrie textile, de la sidérurgie à l'agroalimentaire) a dû évoluer dans un cadre tout à fait différent en raison du développement et de l'interpénétration des échanges internationaux. L'industrie est passée ainsi d'un cadre national ou parfois régional à un cadre beaucoup plus vaste, mondial ou global. Les notions mêmes d'exportation ou, inversement, de maîtrise du marché intérieur ont perdu beaucoup de leur sens, dans la mesure où des concurrents, à l'autre bout de la planète, peuvent bouleverser en peu de temps toutes les données du jeu industriel : peuvent être cités à cet égard l'électronique grand public ou le textile, qui ont subi la concurrence nouvelle des producteurs japonais.