Europe de l'Ouest

Euroréalisme ou eurorigueur ?

Trois ans après la chute du mur de Berlin, l'Europe de l'Ouest demeure désorientée, tandis que perdure un réel ralentissement économique. Inquiets de la montée constante du chômage, désorientés par la disparition ou, pour le moins, l'affadissement des idéologies, les électeurs ont, le plus souvent, averti les partis au pouvoir en votant d'une façon non négligeable pour les formations régionalistes en Espagne (Indépendantistes catalans) ou en Italie (Ligue lombarde), de l'extrême droite en Allemagne (Républicains), en Belgique (Vlaam Blok) ou en France (Front national et, de façon différente, écologistes). Dans le même temps, les réfugiés ex-yougoslaves, mais aussi roumains, affluent et posent, à leur manière, la question d'une nouvelle identité à trouver pour l'Europe tout entière.

Au cœur de toutes ces interrogations, on retrouve, bien évidemment, la Communauté européenne, pour qui l'année 1992 peut être à tous égards considérée comme un tournant. Subsidiarité, déficit démocratique, eurotechnocratie, ces notions, pas toujours bien comprises, auront bercé les jours des électeurs, qui ont fini par comprendre que l'Europe les concernait de plus en plus directement.

Malgré ses défauts, malgré son impuissance dans le conflit bosniaque ou ses dissensions internes, la Communauté reste plus que jamais la référence du Vieux Continent. Les candidatures, officielles (Finlande, Suisse, Norvège) ou officieuses, continuent de se déclarer. Le « non » des Danois au référendum du 2 juin sur les accords de Maastricht ne change rien en ce domaine, même si l'euphorie du début de l'année se dissipe quelque peu.

Espace économique européen

Le 2 mai, à Porto, les ministres des Affaires des Douze de la Communauté et des Sept de l'Association européenne de libre-échange (Autriche, Finlande, Islande, Liechtenstein, Norvège, Suède et Suisse) donnent naissance à l'EEE, vaste marché de 380 millions d'habitants où devraient s'appliquer les règles du libre-échange, complétées des règles de la CE, mais sans union douanière ni politiques économique, monétaire ou agricole communes.

Langueur

Depuis le second semestre de l'année 1990, l'Europe de l'Ouest traverse une période de langueur économique. En 1992, la croissance moyenne du PIB des différents pays de la région devrait être inférieure à 1,5 %. Selon certains experts de la Commission européenne, il faudrait injecter 400 milliards de francs pour relancer l'activité des Douze, notamment par une politique de grands travaux d'infrastructure. De hauts fonctionnaires anglais ont déclaré à ce sujet qu'il n'était « pas question de faire financer le TGV français par l'Europe ».

Les « petits pays »

Irlande

Le vote positif (69 %) des électeurs irlandais au référendum de juin sur les accords de Maastricht ne s'explique pas seulement par des motifs économiques. Comme les autres « petits pays » de la Communauté, l'Irlande reste très attachée aux institutions européennes, qui défendent bien ses intérêts vis-à-vis des plus grands, et notamment de la Grande-Bretagne. Le nouveau Premier ministre, Albert Reynolds, pense s'appuyer sur cette nette majorité pour régler un certain nombre de problèmes, et notamment celui de l'avortement, qui reste interdit en Irlande. Le 5 novembre, son gouvernement est cependant renversé à la suite d'un conflit au sein de la coalition. Des élections générales sont couplées, le 25 novembre, avec le référendum sur l'avortement. Les électeurs lui compliquent la tâche en faisant progresser l'opposition travailliste et en n'acceptant qu'une libération très partielle de l'avortement (seul le droit d'aller avorter à l'étranger est accordé).

Les aides de la Communauté

Ce sont les Irlandais qui perçoivent par habitant le plus d'aides de la CE (1 626 F/an), devant les Portugais (1 026) et les Grecs (1 017). Avec 108 F, les Français sont dans le peloton de queue.

Irlande

Aux élections du 25 novembre, le Fianna Fáil (conservateur) du Premier ministre Reynolds obtient 39,1 % des voix (– 5 %). devant le Fine Gael (droite modérée) de John Bruton, 24,5 % (– 4,4 %), et le parti travailliste de Dick Spring, 19,3 % (+ 9,8 %). Le même jour, les électeurs ont rejeté à 65,4 % la légalisation de l'avortement lorsque la vie de la mère est en danger, mais ont admis à 62,3 % le droit d'aller avorter à l'étranger.

Portugal

Il demeure lui aussi un ferme partisan de l'union européenne, dont il a largement bénéficié et qui lui permet d'avoir les coudées plus franches face à son grand voisin espagnol. Le gouvernement de centre droit d'Anibal Cavaco Silva n'hésite pas à prendre toutes les mesures économiques pour accélérer l'intégration du pays dans l'ensemble communautaire. Il décide en avril de faire rentrer l'escudo dans le SME et déclare que l'année 1993 sera d'une « grande rigueur ». Il ne peut empêcher une dévaluation de 6 % le 21 novembre.

Pays-Bas

Même si l'enthousiasme pro-européen de la population n'est pas évident au pays de Maastricht, la politique économique très orthodoxe du gouvernement de coalition chrétien-démocrate/travailliste de Ruud Lubers ne se dément pas. En mai, le vice-Premier ministre travailliste Wim Kok menace de rompre l'alliance pour protester contre les mesures d'austérité. Il n'en fait rien et annonce lui-même en septembre un budget 1993 d'une rigueur sans faille.

Belgique

Traditionnels bons élèves de la classe européenne, les Belges vivent le débat sur Maastricht à travers le filtre de leur propre querelle linguistique. Avant le référendum français du 20 septembre, ils craignaient qu'une victoire du « non » n'aiguise les antagonismes entre Flamands et Wallons. Le 29 septembre, le Premier ministre social-chrétien flamand, Jean-Luc Dehaene, présente un projet visant à renforcer le caractère fédéral du pays. Beaucoup se demandent si une conversion de Bruxelles en « espace européen » ne constituerait pas la seule solution.

Divorce à la belge ?

« Amis wallons, nous avons vécu 160 ans ensemble et n'avons jamais été vraiment heureux. Divorçons ! Séparons-nous d'un mutuel consentement ! Allons chez le notaire et comme les Tchèques et les Slovaques, comme des gens adultes, réglons le problème de Bruxelles et du partage de la dette. » (Lionel Vandenberghe, leader flamand, le 29/08, à Dixmude.)

Grèce

Obligé depuis 1990 de mener une politique d'austérité, le Premier ministre conservateur Constantin Mitsotakis s'oppose aux syndicats, qui refusent son projet de réforme du régime des retraites. Ferme face aux mouvements de grève, le ministre de l'Économie déclare que « c'est le prix à payer pour le ticket de Maastricht ». Le Parlement a d'ailleurs ratifié le traité de Maastricht à une très forte majorité, le 31 juillet 1992. Il est vrai aussi que l'attention du pays a été largement portée sur les questions extérieures, notamment à propos de la république de Macédoine, issue de l'ancienne Yougoslavie, et dont Athènes conteste le nom d'origine grecque.

Pays scandinaves

Les pays scandinaves, à l'exception du Danemark (où cependant presque tout l'establishment de la politique et des affaires avait pris position en faveur du « oui » au référendum du 2 juin), ont montré cette année une nette volonté d'adhésion à la Communauté. C'est le cas de la Finlande, qui a officiellement déposé sa candidature le 18 mars. La grave crise économique qu'elle traverse ne lui a guère laissé le choix.