L'Allemagne s'est engagée depuis 1990 dans une unification économique plus coûteuse et plus lente que les autorités publiques ne le pensaient. La réorganisation à l'Est se traduit pour le moment par une montée du chômage et des dépenses d'assistance, cependant que les hausses de salaires importantes arrachées par les syndicats en 1992 ont développé des tensions inflationnistes. L'Allemagne gère cette situation difficile en en diluant le coût. Les contribuables ont certes vu leurs impôts augmenter, mais l'importance du déficit public (5,6 % du produit national brut) crée un besoin de financement et suscite un appel aux capitaux extérieurs. La Bundesbank accomplit dans ce contexte délicat la mission qui lui a été confiée. Cette respectable institution gage sa réputation sur 45 ans de bons résultats en matière de lutte contre l'inflation. Beaucoup accusent l'Allemagne de ne pas baisser ses taux et de faire payer ainsi aux autres pays européens le coût d'une opération de politique intérieure. Cette thèse néglige les avantages politiques que l'Europe dans son ensemble retire d'une Allemagne réunifiée, pacifiée, réconciliée. Elle veut ignorer les conséquences bénéfiques à long terme pour la croissance et l'emploi d'une politique qui a su persévérer dans la lutte contre l'inflation.

Europe : l'épreuve de vérité

L'événement singulier qui marquera 1992 et dont les répercussions se feront sentir longtemps réside dans la remise en cause du système monétaire européen. Cette institution créée en 1979 a soutenu la croissance européenne en limitant les risques de change et en conviant les pays membres à se concerter pour procéder en temps opportun aux ajustements de parités que les situations respectives de ces pays pouvaient imposer. Elle a permis d'envisager une intégration accélérée de l'Europe des Douze, d'abord par l'effacement de barrières réglementaires et fiscales (Acte unique de 1986), puis par l'instauration progressive d'une monnaie unique à l'échéance de 1997-1999 pour les pays qui le pourront (traité de Maastricht de décembre 1991). Or, le « non » danois et l'annonce du référendum en France intervenus en mai, puis la réticence exprimée par une forte minorité de Français en septembre, enfin les efforts que les économies européennes doivent accomplir pour se mettre au diapason de la monnaie unique ont nourri des doutes croissants sur les capacités des peuples à supporter les changements annoncés. Le marché mondial de capitaux, profitant de la liberté qui lui a été rendue dans les années 1980, a alors sanctionné, dans une brutale clarté, les divergences les plus criantes qui séparent, d'une part, les pays dont la monnaie est discutée (inflation élevée, supérieure à 6 % en Espagne et en Italie), dont les États sont faibles (Italie à nouveau) et dont la politique économique est hésitante (Royaume-Uni) et, d'autre part, ceux qui jouissent d'une relative stabilité des prix et de comptes extérieurs équilibrés. Certains accusent « la spéculation ». D'autres préfèrent rappeler que le marché se prononce sur les données fondamentales des économies et anticipe ses difficultés futures. De plus, le même marché a clairement rappelé aux autorités publiques de la Communauté et du G 7 qu'elles devaient se concerter plus efficacement et ne pas céder aux pressions nationalistes de tous ordres qui se font jour depuis la disparition du danger communiste à l'Est. Le retrait unilatéral de la livre sterling, de la lire et de la peseta s'analyse comme une série de dévaluations de facto et traduit l'incapacité du système des banques centrales européennes à œuvrer ensemble pour contrecarrer les mouvements du marché. La crise du SME a créé une situation nouvelle, dangereuse pour la stabilité des rapports F/Mark et par conséquent pour la clé de voûte de l'édifice communautaire. D'une part, la libération complète des échanges communautaires expose les pays dont la monnaie s'apprécie à la concurrence anarchique des pays dont la monnaie se dévalue, ce qui provoquera des tensions commerciales importantes. D'autre part, ces situations d'affrontement aggravent les risques de change qui sont de nature à décourager les investissements en Europe alors même que la perspective du marché unique les avait jusqu'à présent soutenus. Enfin, même si la France a joui d'une économie fondamentalement plus solide en 1992 que celle de l'Allemagne, six ans de stabilité monétaire comptent moins que les performances d'ensemble accomplies par une Allemagne dont la puissance industrielle atteint presque le double de la nôtre.

Les perdants et les vainqueurs

La conjoncture des pays industrialisés a pesé sur la conjoncture mondiale. Ont particulièrement souffert du marasme, cette année, les compagnies de transports aériens, les frets maritimes et le cours des matières premières. Les compagnies aériennes qui se sont suréquipées se livrent à une guerre tarifaire ruineuse et subissent les coûts d'encombrement des aéroports. Les transports maritimes ont chuté de 50 % depuis la guerre du Golfe. Le cours des matières premières, hormis le pétrole, a diminué d'un tiers.