Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

La mode vous en dit long

Tout change. Nouvelle longueur et nouvelle hauteur. Nouvelle élégance et nouvelle harmonie. Simplissime pour une silhouette longiligne que le noir, couleur suprême, magnifie tout simplement. Surprise sur toute la ligne : les ourlets tombent vers la cheville, les escarpins classiques et les bottines coquines se haussent sur des semelles plates-formes et des talons compensés inspirés des années 40. C'est un fait, la mode, à nouveau, en dit long, comme dans les années 70, comme dans les années 80. Précurseurs de ce bouleversement : Azzedine Alaia et Karl Lagerfeld. Hommes d'influence, ils ont bouleversé l'ordonnance des longueurs en ne faisant plus dans la demi-mesure. Tous les couturiers ont suivi le mouvement. « Il faut tout changer pour faire retrouver aux femmes les chemins de la mode, explique Karl Lagerfeld. Il est dangereux d'exagérer l'éternité d'un style. On met ainsi sa survie en péril. »

Rien d'austère sur ces silhouettes, nettes comme un trait de fusain, qui imposent d'autres attitudes dans des exercices de styles très longs et très moulants. Les tailleurs galbés à basque longue et taille marquée sont construits avec une élégante précision. Réminiscence du passé, certains évoquent le « new look ». Olivier Lapidus, qui fredonne la mode sur un air de Saint-Germain-des-Prés, invoque le « new kool ».

L'allure s'envole sous les jupes qui se fendent « au plus haut d'un coup de ciseaux ». Légères et fuselées, elles révèlent les jambes plus que parfaites dont le galbe se découvre aussi sous des effets de transparence. Été comme hiver, ceux-ci enflamment les regards. Sous le soleil, tout est à imaginer. Les lignes se dessinent. Les corps, sans se dénuder, donnent l'illusion du nu. Mousseline, organza et tulle ont de beaux jours devant eux. La dentelle joue sur tous les registres. À l'instigation de Chantai Thomass, elle se plastifie et se porte en imperméables et parkas. Pour d'autres, elle se faufile de stretch, se marie à du prince-de-galles, se tricote en arabesques d'acier. La dentelle s'offre encore plein de jolis rôles pour cause de métamorphoses et de changements de registres. L'organza profite de ce grand mouvement de détournement des genres pour s'attribuer un autre emploi. Claude Montana, pour ne citer que lui, imagine des trenchs et des liquettes lovés dans l'organza.

Le cuir prend du style

Les mailles du filet n'échappent pas à la règle. Une résille de coton qui pourrait être une mantille devient un blouson zippé ou une cape du soir. La laine, comme la soie éternelle, sous la main de Karl Lagerfeld, se renouvellent. Naissance, chez Chanel, d'un voile mousseux appelé « mousse de laine » qui « entoure le corps d'une brume vaporeuse ». Tout l'esprit des tissus de l'année pourrait se résumer dans cette matière à l'élégante souplesse. Crêpe de laine, crêpe marocain, étamine, natté et tweed mousseux donnent aux vêtements un tombé particulier et une allure inégalable pour un joli corps-accord avec la silhouette. Le cuir lui aussi s'habille, se matelasse et prend du style en s'offrant dans tous les états, reflets d'une mode sportive et luxueuse avec des modèles de motards revus et corrigés dans une version sophistiquée. À retenir, les variations brillantes, en cuir or constellé de clous, du célèbre « Perfecto », qui fait des émules en accompagnant les robes du soir et en s'associant le plus naturellement du monde à de la dentelle. De la même manière, la doudoune fait son entrée en haute couture et prend ses aises dans le taffetas et la soie.

Mais, comme l'affirme Karl Lagerfeld : « Toutes tendances confondues, la mode ne se contente plus d'un seul compte rendu. » Les genres cohabitent et se mélangent. Remarquées, l'allure cavalière profilée en d'élégantes tenues d'amazones et la silhouette néodandy. Le masculin, en cette année qui vient de s'écouler, se porte plus que jamais au féminin.

La mode se grise de liberté

Voie de la modernité en cette période de fluctuation des ourlets, le tailleur-pantalon s'affiche comme le nouveau basique de la dernière décennie. Dénominateur commun, la veste, longue et ajustée à la manière d'une jaquette sortie tout droit de la garde-robe d'un dandy ou d'une redingote d'amazone, relevée d'un petit (ou grand) col tailleur ou d'un col à pointes carrées. En revanche, toutes les formes de pantalons sont autorisées, influencées par les visions des faubourgs de Londres et de Paris, de Chine et d'Andalousie. Serrés ou larges, qu'importe la silhouette ? Tout est de mise, comme le mélange des lainages à carreaux de différentes tailles et des imprimés en trompe-l'œil. Indispensable accessoire de mode, la chemise d'homme en popeline blanche, coupe tout ce qu'il y a de simple, nouée à la taille, avec des poignets mousquetaires, s'impose. Plus audacieux, le « Marcel », débardeur populaire magnifié par les stars du cinéma américain, fait un come-back et entre chez les couturiers. À porter avec une veste Chanel, une grande jupe de mousseline ou un pantalon étroit à taille haute. Carrément coquins, les corsets, dont on annonce le retour, esquissent la silhouette en beauté, redonnent de la rondeur aux décolletés et marquent la taille.