Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

La guerre dans l'ex-Yougoslavie fait peser un autre discrédit sur l'Europe. Malgré l'effort considérable fourni par les Européens en matière d'aide humanitaire aux populations assiégées et aux réfugiés, malgré la forte participation française et britannique aux contingents de Casques bleus déployés en Croatie et en Bosnie, l'Europe apparaît comme totalement impuissante à arrêter la guerre, à freiner l'expansionnisme serbe en passe de reconstituer la « grande Serbie » et à mettre un terme à une politique de « purification ethnique » qui indigne le monde. En dépit du risque de débordement de ce conflit au Kosovo, dans la république de Macédoine et dans l'ensemble des Balkans, la Communauté se révèle impuissante à faire usage de la force en l'absence d'un engagement des États-Unis dans ce sens. Des divergences se manifestent en outre en son sein à propos de la reconnaissance à accorder ou non à la Macédoine, comme un an plus tôt à propos de la Croatie. M. Mitterrand, comme le gouvernement grec, mais pour d'autres raisons, reste en effet opposé à cette reconnaissance.

Au sommet européen d'Édimbourg, les douze chefs d'État et de gouvernement sont cependant parvenus, les 11 et 12 décembre, à régler les problèmes les plus urgents : celui de la poursuite des ratifications du traité de Maastricht et celui de la programmation budgétaire de la Communauté pour les sept années à venir.

Un texte est mis au point à Édimbourg, qui accorde aux Danois des dérogations sur les chapitres les plus contestés du traité : la monnaie commune, la politique de défense commune, la politique commune en matière de visas. Le Premier ministre danois, fort de ces aménagements, promet de représenter le traité de Maastricht aux électeurs fin avril ou début mai 1993. Cet arrangement est présenté comme l'œuvre du Premier ministre britannique, M. John Major, qui voit ainsi son crédit restauré et peut envisager de demander au Parlement de Westminster d'achever la procédure de ratification avant le 1er juillet 1993.

Quant à la question budgétaire, elle mettait aux prises les pays dits « du sud » (Espagne, Portugal, Grèce, plus Irlande) et les pays plus prospères. Ces derniers, en période de rigueur budgétaire, refusaient de consentir les augmentations proposées par M. Jacques Delors pour les fonds destinés au développement des régions les moins avancées de la Communauté. Le compromis trouvé à Édimbourg prévoit que les ressources de la Communauté passeront de 1,20 % du PIB en 1992 à 1,27 % en 1999, ainsi que le doublement en sept ans des fonds structurels bénéficiant à l'Espagne et à ses alliés.

Divergences

Le sommet d'Édimbourg marque ainsi un sursaut de la Communauté, sinon le règlement de toutes les crises qui l'affectaient. En dépit des compromis trouvés, deux conceptions de l'Europe s'affrontent encore clairement. Pour la Grande-Bretagne et, dans une certaine mesure, pour le Danemark, la Communauté devrait s'apparenter à une vaste zone de libre-échange, ouverte à de nouveaux membres et fonctionnant sur le mode très souple de la coopération entre États plutôt que par la mise en œuvre de politiques communes contraignantes. Pour les six pays fondateurs de la Communauté (France, Allemagne, Italie, pays du Benelux) ainsi que pour l'Espagne et le Portugal, la Communauté doit au contraire évoluer vers une structure de type fédéral, et c'est dans cet esprit qu'ils conçoivent le traité de Maastricht.

Les dérogations accordées au Danemark à Édimbourg, après celles qui avaient été accordées à la Grande-Bretagne à Maastricht, créent de fait une « Europe à plusieurs vitesses ». C'est une phase nouvelle de la construction communautaire où tous, jusque-là, étaient soumis au même traitement. Alors qu'allaient s'ouvrir, début 1993, les négociations pour l'élargissement à de nouveaux pays membres, on pouvait se demander si l'avenir de la Communauté n'était pas cette « Europe à la carte » qui avait auparavant toujours été récusée. Les premières candidatures examinées allaient être celles de la Finlande, de l'Autriche et de la Suède, trois pays qui, en raison de leur tradition de neutralité, pourraient essayer d'échapper à la politique de défense commune que prévoit le traité de Maastricht. L'élargissement à de nouveaux membres pose, en toute hypothèse, le problème de la réorganisation des institutions communautaires et de la redéfinition des procédures de prise de décision. Il promet un débat à propos duquel devraient à nouveau s'affronter les deux conceptions de l'Europe.