Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Michel Garretta réagira violemment à l'attaque : « Mensonge ! s'écriera-t-il au cours d'une des audiences les plus tendues. Je veux bien être considéré comme le patron des cliniciens, des techniciens, des transfuseurs, le patron du ministre. Je veux bien qu'on me mette tout sur le dos, mais je ne suis pas un surhomme. J'ai cherché le meilleur compromis possible, et c'était aux autorités de tutelle d'interdire la cession des produits avec les conséquences financières que cela représentait. »

Les politiques se présentent à la barre, après un mois de débats. Dans l'ordre : Edmond Hervé, Georgina Dufoix, Laurent Fabius. Devant l'assemblée, devenue houleuse, des hémophiles, Edmond Hervé reconnaît que son conseiller technique sur le plan médical, le Dr Weisselberg, lui a effectivement transmis un document Sida et transfusion émanant du CNTS et faisant état de la contamination des lots de plasma. Mais ce rapport, édulcoré par le Dr Habibi, un des adjoints de Michel Garretta, a même fait l'objet d'un « rajout » faussant l'avis des experts, anesthésiant en quelque sorte l'action du ministre.

Georgina Dufoix contre-attaquera à son tour : « Je ne savais rien jusqu'au 12 juillet, où j'ai reçu une note de mon cabinet signalant la mise en place du dépistage et du chauffage du sang comme mesures d'accompagnement nécessaires. »

Laurent Fabius devant le tribunal. Un des moments chocs du procès. L'ancien Premier ministre, malgré l'hostilité du public, reste sur une position très ferme : « Je veux affirmer ici que le chauffage des produits est une question qui n'est pas parvenue à ma connaissance. » Sortie des ministres, qui, contrairement à ce qu'on pouvait imaginer, n'auront pas été ce jour-là contredits, le Pr Roux, leur principal accusateur, ayant pour sa part adopté un profil bas, les autres inculpés s'étant montrés absents de la discussion.

Les victimes, à qui on ne consacre qu'une seule et unique audience, racontent la confiance qu'ils éprouvaient vis-à-vis de leurs médecins prescripteurs, les mensonges sur les omissions faits à leur encontre, le drame de la mort lente qui les ronge : mille deux cent cinquante d'entre eux sont déjà décédés, les autres, en sursis, mais condamnés.

Les plaidoiries des avocats des parties civiles, dont deux particulièrement actifs durant le procès, Mes Holleaux et Paugam, précèdent un réquisitoire très ferme de Michelle Bernard-Requin demandant le maximum de la peine pour Michel Garretta, soit quatre ans de prison avec mandat de dépôt à l'audience, le tribunal devant se prononcer le 23 octobre. Suit la plaidoirie finale en force de Me Charvet, avocat de Garretta, reprenant le thème du bouc émissaire, et déclarant que ce n'était pas à quatre médecins de faire l'objet de poursuites mais à cent, à tous les prescripteurs et responsables de la transfusion.

Verdict

C'est d'évidence la menace d'une mesure d'internement possible au jour du verdict qui fait éclater le 23 octobre un nouveau scandale, un épisode presque extravagant en justice. Le Dr Garretta, réfugié à Boston, où il a des intérêts dans une société américaine, se confine dans un manoir. Il déclarera craindre la prison – alors que les hémophiles, eux, voient leur mort programmée –, il exigera des garanties de la part de l'État pour accepter de purger la peine à laquelle le tribunal l'a condamné : quatre ans de prison ferme et cinq cent mille francs d'amende. Le Dr Allain, qui, lui, a été condamné à deux ans de prison sans obligation d'effectuer sa peine et à deux autres années avec sursis, fait aussitôt appel. Le Pr Roux, condamné à quatre ans de prison avec sursis, absent à l'audience – arguant de son état de santé auprès du tribunal –, manifestera un regain de tempérament en se pourvoyant également en appel et en réattaquant une nouvelle fois les politiques. Seul le Dr Netter qui, d'après les attendus d'un jugement de 190 pages, a agi comme il en avait les moyens, bénéficiera d'une mesure d'acquittement.

Le 28 octobre, le Dr Michel Garretta rentre de Boston au milieu d'une sorte de show médiatique organisé par lui et ses défenseurs.