Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Au lendemain du référendum danois, les dirigeants européens unanimes décidaient de poursuivre les procédures de ratification dans les autres pays et rejetaient toute renégociation du traité. M. Mitterrand, de son côté, annonçait la tenue d'un référendum début septembre en France. Ce dernier, remporté d'extrême justesse le 20 septembre (51,05 % de « oui »), n'a cependant pas arrêté le vent d'euroscepticisme qui soufflait sur l'Europe, au contraire. La vigoureuse campagne des partisans du « non » et la forte proportion des votes négatifs dans un pays jusque-là tenu pour le plus européen de la Communauté renforçaient à nouveau les contestataires dans les pays voisins : en Allemagne, où un fort courant d'opinion répugnait à l'idée de lâcher le mark fort pour une monnaie européenne commune ; en Grande-Bretagne surtout, où le courant traditionnellement hostile à la Communauté dans le parti conservateur prenait de l'ampleur et menaçait le gouvernement de M. John Major. Les critiques contre une « bureaucratie bruxelloise » décrite comme envahissante et menaçant la souveraineté des États se déchaînèrent, de même que les inquiétudes devant les contraintes qu'allait imposer, en termes de politique économique et budgétaire, la construction de l'Union monétaire. D'autres problèmes vinrent, de surcroît, se greffer à l'automne sur cette crise de confiance affectant la Communauté.

Épreuves

En septembre, la tourmente monétaire qui balaie l'Europe résulte de cette crise de confiance et, en même temps, l'aggrave. Le 17 septembre, deux monnaies, la livre britannique et la lire italienne, sont contraintes de sortir du Système monétaire européen (SME), tandis que la peseta espagnole est dévaluée de 5 % par rapport aux autres monnaies. La spéculation s'attaque également au franc français, qui, cependant, résiste. La Banque centrale allemande (Bundesbank) est de plus en plus vivement contestée dans les autres pays pour sa politique de taux d'intérêt élevés, qui provoque de vives tensions, en particulier entre les gouvernements français et britannique et celui de Bonn.

Le malaise des agriculteurs s'est déjà violemment exprimé en France, après l'accord conclu entre les douze gouvernements européens, le 21 mai, sur la réforme de la politique agricole commune (PAC). Les groupes UDF, UDC et RPR, prenant la défense des agriculteurs, avaient alors déposé une motion de censure contre la réforme de la PAC à l'Assemblée nationale. Ce problème resurgit à l'automne, à propos des négociations sur le commerce mondial. Sous la pression des protestations des agriculteurs, les dirigeants français adoptent alors une attitude qui les isole en Europe.

Les négociations sur le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) piétinaient depuis des années, bloquées, en particulier, par le différend qui oppose les États-Unis et l'Europe à propos des subventions au commerce des produits agricoles. Après plusieurs autres réunions infructueuses entre les négociateurs américains et ceux de la Commission de Bruxelles, et alors que Washington menace de sanctions commerciales, une rencontre provoquée par la Grande-Bretagne (qui assume la présidence de la Communauté) échoue de nouveau, le 4 novembre, à Chicago, en raison d'un désaccord sur les oléagineux. M. Jacques Delors est alors violemment pris à partie par la presse et certains responsables britanniques, qui l'accusent d'avoir fait échouer un accord et de servir les intérêts français plutôt que ceux de l'Europe. Deux semaines plus tard cependant, le 19 novembre, les Américains ayant fait de nouvelles concessions sur les oléagineux, un compromis est trouvé avec les représentants de la Commission de Bruxelles. Le soulagement est général dans les pays européens, peu désireux de se lancer dans une guerre commerciale avec les États-Unis. La France, cependant, récuse le compromis agricole, qu'elle juge « inacceptable » et menace d'opposer son veto, le moment venu, à l'acceptation par la Communauté d'un accord général sur le commerce mondial. À la veille du sommet des Douze à Édimbourg, les 11 et 12 décembre, la cohésion de la Communauté paraît totalement ébranlée.