Fin mars, malgré les appels à l'aide des insurgés et l'accroissement du nombre des victimes civiles, la Maison-Blanche réaffirme sa neutralité dans ce qu'elle qualifie pudiquement de « conflit intérieur irakien ». Après avoir écrasé l'insurrection chiite dans le sud, les unités de la Garde républicaine reprennent le contrôle des villes kurdes.

Il se confirme – on le savait déjà – qu'en attendant l'apparition d'un homme providentiel qui aurait pratiquement le même profil politique que le président Saddam Hussein les États-Unis et leurs alliés modérés arabes préfèrent un régime baassiste aux abois, prêt à toutes les concessions pour demeurer au pouvoir, à une coalition de l'opposition irakienne comprenant des Kurdes, des chiites plus ou moins liés à l'Iran, des communistes et des libéraux.

La survie des Kurdes

Du fait même qu'ils ne sont pas arabes, les Kurdes sont demeurés extrêmement prudents pendant le conflit, afin d'éviter de susciter en Irak un mouvement nationaliste dont ils auraient été les principales victimes. Ils ne sont entrés dans la bataille, à la fin des hostilités, qu'après que les chiites du sud de l'Irak eurent lancé un mouvement insurrectionnel contre le pouvoir central.

Fin mars, la révolte kurde, qui s'est propagée comme une traînée de poudre, parvient à libérer l'ensemble des grandes villes du nord-est de l'Irak. Le mouvement de révolte est cependant prématuré : au début d'avril, après avoir écrasé la rébellion chiite, l'armée irakienne réussit à reprendre le contrôle de la plupart des villes kurdes « libérées », poussant sur les routes des centaines de milliers de réfugiés en quête d'un abri au-delà des frontières.

Le pitoyable et sanglant exode de plus de deux millions de Kurdes suscite alors une profonde émotion au sein de l'opinion publique internationale, qui était demeurée presque indifférente à la tragédie des chiites irakiens, dont le soulèvement finit noyé dans le sang. Le 5 avril, sous l'impulsion de la France, qui invoque un « droit à l'ingérence », le Conseil de sécurité de l'ONU condamne la répression antikurde et lance l'idée d'un « sanctuaire pour les Kurdes » en territoire irakien. Cinq jours plus tard, cédant aux pressions extérieures et intérieures, les États-Unis, qui s'étaient d'abord montrés hostiles à « toute intervention dans les affaires intérieures de l'Irak », adressent un avertissement à Bagdad, lui demandant instamment de s'abstenir de toute activité militaire dans le large secteur du nord de l'Irak qui comprend la zone où se trouvent les réfugiés kurdes. Washington exige également l'arrêt des opérations aériennes au nord du 36e parallèle, qui traverse le pays et passe à 50 km environ au sud de la ville de Mossoul.

Contraint de s'incliner, l'Irak ne réagit pas à l'annonce faite par le président Bush de l'envoi de plusieurs unités dans le nord de l'Irak pour y créer des camps d'accueil. Pour rassurer les populations du nord de l'Irak et prolonger de façon dissuasive l'opération militaro-humanitaire Provide Comfort, une force multinationale est alors installée dans le nord de l'Irak, force qui se déplacera le 15 juillet à Silopi, au sud-est de la Turquie. Le 10 octobre, les troupes terrestres de la coalition occidentale (États-Unis, Grande-Bretagne, Pays-Bas, France, Italie et Turquie) quittent Silopi. La protection militaire des Kurdes irakiens est désormais assurée par la composante aérienne de la force d'intervention alliée basée à Incirlik.

Les troupes irakiennes, qui coexistent avec les combattants kurdes dans la plupart des villes du nord, sont de loin les plus puissantes, mais elles se trouvent pratiquement paralysées par la crainte d'une riposte alliée. Sur le plan politique, les négociations entamées en avril à Bagdad entre le président Saddam Hussein et le Front uni du Kurdistan en vue de trouver une nouvelle formule d'autonomie pour les Kurdes piétinent, le projet d'accord proposé par Bagdad ne faisant que des concessions de pure forme aux aspirations nationales des Kurdes, notamment en ce qui concerne le statut de Kirkouk.