L'une des raisons de l'acharnement de Saddam Hussein à mener une lutte sans issue a sans doute été jusqu'au dernier moment son fol espoir de parvenir à diviser la coalition anti-irakienne en imprimant au conflit une coloration anti-israélienne qui aurait embarrassé les alliés arabes modérés de Washington en les plaçant dans une situation intenable. Les tirs de missiles Scud sur Tel-Aviv et Haïfa, qui commencèrent le 18 janvier, au lendemain même du début des bombardements alliés sur l'Irak, avaient surtout pour objectif d'impliquer Jérusalem dans le conflit.

Sur les quelque 80 missiles lancés par Bagdad, 40 furent dirigés contre Israël, les autres visant des objectifs en Arabie Saoudite et à Bahreïn. Le président Saddam Hussein ne se faisait aucune illusion sur l'impact militaire de ces tirs, mais espérait qu'ils contraindraient les Israéliens, qui n'ont jamais laissé impunie une quelconque attaque contre leur territoire, à riposter. Soumis à une forte pression américaine, ces derniers ont fait preuve de suffisamment de sagesse pour ne pas tomber dans le piège tendu par Bagdad.

Du côté arabe, l'effet politique escompté par les Irakiens – qui était de soulever les masses arabes contre les États-Unis et leurs dirigeants – a été fort limité. Il y a bien eu, au niveau populaire, des réactions passionnelles « enthousiastes », notamment dans les territoires occupés et en Jordanie, mais les milieux officiels arabes se sont montrés fort réservés. Damas est même allé jusqu'à désavouer l'opération, en reconnaissant à Israël le droit à la légitime défense et en soulignant qu'en cas de représailles de Jérusalem la Syrie se garderait de réagir.

D'une manière générale, les réactions des pays arabes à la guerre menée contre un pays arabe tiers par une alliance à dominante occidentale, et surtout américaine, ont été relativement modérées et se sont limitées à des manifestations de soutien, même parmi ceux qui, dès le début de la crise, s'étaient rangés du côté de l'Irak. En Jordanie, le pays qui a payé le plus cher son alliance avec Bagdad, aussi bien sur le plan politique qu'économique, les mouvements populaires ont été contenus par le double jeu du roi Hussein, qui, soucieux de ménager les États-Unis, a résisté aux pressions de la rue jordanienne et palestinienne en faveur d'un soutien plus net à l'Irak. Au Soudan et au Yémen, les manifestations populaires ont été, en fait, organisées par des dirigeants de toute manière acquis à la cause irakienne. La Libye du colonel Kadhafi n'a pratiquement pas bougé, le guide de la révolution ayant, sous l'influence du Caire, avec lequel il venait de se réconcilier, adopté une attitude prudente à l'égard de Bagdad, coupable, à ses yeux, d'aventurisme.

Même Yasser Arafat, malgré son alignement presque inconditionnel sur la politique de Saddam Hussein, a résisté aux injonctions du président irakien, qui lui avait demandé d'ouvrir un second front en s'en prenant aux intérêts occidentaux et américains dans le monde, et a soigneusement évité de déplacer la direction de l'OLP de Tunisie en Irak.

Au Maghreb, les manifestations populaires de solidarité à l'égard de la cause irakienne ont été autorisées et canalisées par les dirigeants dans un souci évident de ne pas se laisser déborder par les mouvements d'opposition. Paradoxalement, aussi bien en Algérie qu'au Maroc et, dans une moindre mesure, en Tunisie, le ressentiment populaire provoqué par la guerre contre l'Irak a été plus dirigé contre la France, qui a pourtant tout fait pour éviter une épreuve de force sanglante, que contre les États-Unis, qui ont tout mis en œuvre pour précipiter une guerre dont le but était de détruire l'État irakien.

Pourtant les États-Unis n'ont pas aidé les chiites du sud de l'Irak entrés en rébellion contre le pouvoir central à peine trois jours après l'arrêt des hostilités. Tout semblait indiquer que les troupes américaines, qui occupaient une portion du territoire irakien contiguë à la zone où se déroulaient les combats entre rebelles et gouvernementaux, n'étaient guère disposées à intervenir, comme si leurs priorités avaient changé avec la fin des hostilités, Washington se contentant de mettre en garde les dirigeants irakiens contre l'utilisation d'armes chimiques pour venir à bout des populations chiites révoltées, auxquelles, après un moment d'hésitation, s'étaient joints les Kurdes du nord. Dans cette double guerre civile, les Américains ont adopté le rôle de spectateurs presque neutres, n'intervenant que lorsque les Irakiens outrepassaient les règles qu'ils leur avaient imposées et qui interdisaient l'emploi des avions et des hélicoptères contre les insurgés.