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Architecture

Le pritzker price couronne cette année l'œuvre de l'architecte américain Robert Venturi, près d'un quart de siècle après la parution de son ouvrage fondamental Complexity and Contradiction in Architecture (en français, « De l'ambiguïté en architecture ») que beaucoup d'historiens et de critiques considèrent comme le premier cri de révolte théorisée « contre la morale et le langage puritains de l'architecture moderne orthodoxe ».

Pour une nouvelle « urbanité » ?

Exégète du postmodernisme, l'architecte américain Charles Jencks situe son compatriote dans la branche historiciste de ce mouvement, mais Venturi n'a jamais revendiqué réellement d'appartenance à cette généalogie et sa démarche très originale rend difficile toute stylistique de son œuvre. Si l'on doit y relever une constante ludique, voire même humoristique, on peut, sans craindre un truisme, la qualifier d'« américaine » par son recours à un langage visuel et à une sémiologie culturelle enracinée dans la réalité sociale des États-Unis. Le « venturisme » serait dès lors plus vernaculaire qu'historiciste.

Un an après Anatole Kopp, Henri Lefebvre nous quitte et, avec lui, c'est une figure de proue des théories révolutionnaires sur la ville qui s'éteint. Comme Kopp, il fut autour des années 1968 la référence de toute une génération de jeunes architectes puis, avec les grandes remises en cause idéologiques des quinze dernières années, sa pensée perdit de son influence. Il préconisait un urbanisme démocratique qui serait fondé sur l'intégration des fonctions urbaines, la dénonciation de toute ségrégation, et prônait une pratique urbanistique qu'on pourrait qualifier de « participationniste » par la mise en évidence et la prise en compte des données sociologiques. Ces principes l'avaient ainsi amené à énoncer un « droit à la ville » garantissant à tous une vie urbaine pleine et entière.

Le destin des « grands travaux du Président » (mais aussi de bon nombre de nos édiles) devrait nous inviter à revisiter et à méditer les utopies urbaines d'Henri Lefebvre si pleines de foi en une ville « œuvre perpétuelle de ses habitants ». Réduit au rôle de spectateur, le citadin attentif (celui qui n'a pas encore opté pour l'indifférence) assiste presque toujours au même scénario : cela commence généralement par une déclaration solennelle du représentant du pouvoir (qu'il soit président ou maire, à Tokyo ou à Paris). Ce premier sceau étant apposé sur l'espace, vient l'heure du choix architectural, opéré dans la fébrilité en deux plans et trois mouvements (parfois de bravoure), par voie de concours ou non (l'une et l'autre des formules ayant parmi les gouvernants ses adeptes et ses détracteurs). De toutes les façons, grandiose, gigantisme, ostentation ou monumentalisme sont de mise. Très vite, survient ensuite le temps des polémiques, souvent biaisées par les arrière-pensées politiques, des sarcasmes et des scandales. Enfin, il faut adapter (souvent coûteusement) les formes projetées à leur fonction ou aux aléas techniques apparus entre-temps. À la fin de la pièce, parfois, le citadin monte sur la scène. Excipant de son droit à la fête, il s'approprie l'espace, le détourne, le tague. Mais il s'agit alors d'une happy end ; sinon, l'œuvre reste comme une coque vide, suscitant l'indifférence quand ce n'est pas la colère, comme c'est le cas des « monstruosités ceausescusiennes ».

En « pritzkerisant » un « socioarchitecte », en célébrant la mémoire du chantre de « la Révolution urbaine » et en nous offrant le navrant spectacle des empoignades et des controverses politiques autour de la « très grande bibliothèque » et de l'inauguration de la gigantesque mairie de Tokyo de Kenzo Tange (surnommée Tax Tower par les habitants), l'année 1991 n'aurait-elle pas voulu plaider en faveur d'une architecture d'expression populaire et d'une urbanité nouvelle ?

Jacques Florent

Histoire

François-Georges Dreyfus publie aux PUF une synthèse magistrale de l'Allemagne contemporaine 1815-1990, fruit d'une critique méthodique des sources germaniques et des ouvrages d'érudition publiés dans la langue de Goethe. Il permet en particulier de saisir à leurs origines certains des mécanismes déclenchants du phénomène Hitler, dont Marlis Steinert (Fayard) affirme qu'il est « le produit des convulsions et des frustrations de l'histoire austro-allemande » et qu'il n'a temporairement triomphé que grâce à l'utilisation de méthodes empruntées au marxisme et dont les enfants d'Israël furent les victimes privilégiées au terme d'une histoire plus que bimillénaire. Historien, journaliste et juif, Pierre Vidal-Naquet analyse avec lucidité ce processus dans le second volume de son ouvrage les Juifs, la mémoire et le présent (La Découverte).