Cependant, c'est à un grand disparu que revient le privilège – pour le trentième anniversaire de sa mort – de nous avoir donné le livre le plus irrésistible de l'année : les Lettres à la N.R.F. (Gallimard) de Céline, chronique superbe, à la fois comique et dramatique, des démêlés de l'écrivain avec la maison Gallimard. Chez les jeunes auteurs, Luc Lang a confirmé, avec Liverpool, marée haute (Gallimard), le talent annoncé par son premier roman, Voyages sur la ligne d'horizon. La très jeune Nina Bouraoui, avec un premier roman fort et cruel, la Voyeuse interdite (Gallimard), s'est classée d'emblée parmi les auteurs de best-sellers, alors qu'Olivier Frébourg, dans Basse Saison (Albin Michel), témoignait de la persistance de l'ombre portée de Nimier sur une nouvelle génération de romanciers. Publiée chez un nouvel éditeur, Armande Gobry-Valle a retenu l'attention des jurés du Goncourt du premier roman avec Iblis ou la Défroque du serpent (Viviane Hamy). Écrivain créole passé depuis peu au français, Raphaël Confiant a séduit, pour sa part, les jurés du prix Novembre par l'inventivité de son Eau de café (Grasset), qui avait été cité avec insistance pour d'autres prix.

Des traites sur la notoriété

Comme cela devient l'usage, le début de l'année a vu paraître les ténors littéraires en rangs serrés. Dans le fil de ses « romans de la totalité » tels que la Gloire de l'Empire et Dieu, sa vie, son œuvre, Jean d'Ormesson a retracé avec brio et humour la geste de l'Histoire du juif errant (Gallimard), qui a dépassé le cap des 200 000 exemplaires. Un peu au-dessous de ce chiffre, J.-M. G. Le Clézio a rencontré un vif succès avec l'évocation en partie autobiographique de sa jeunesse en Afrique : Onitsha (Gallimard).

Malgré une complaisance évidente de Marguerite Duras pour la redite et les lieux communs, l'Amant de la Chine du Nord, frère jumeau et malingre d'un autre Amant qui obtint le Goncourt en 1984, s'est classé parmi les meilleures ventes de l'année. On pourrait faire la même remarque à propos de Françoise Sagan et ses Faux-Fuyants (Julliard). Si Patrick Modiano n'a pas renouvelé son imaginaire en publiant au Seuil Fleurs de ruines, la petite musique de sa nostalgie a continué d'exercer son charme. Quant à Hervé Bazin, avec l'École des pères (Grasset), Didier Decoin, avec la Femme de chambre du Titanic (Seuil), et Tahar Ben Jelloun, avec les Yeux baissés (Seuil), ils ont témoigné qu'un ancien prix Goncourt pouvait tirer des traites sur sa notoriété.

Avec la Fête à Venise (Gallimard), improvisation brillante sur l'art et la clandestinité, Philippe Sollers a inauguré une nouvelle « manière » romanesque qui a intéressé quelque 50 000 lecteurs en dépit de sa difficulté. La fin de l'année a été marquée par la publication d'un splendide roman de Pascal Quignard, Tous les matins du monde (Gallimard), soulignée par son adaptation simultanée à l'écran.

Une certaine désaffection

Malgré une certaine désaffection à l'égard des romans historiques, genre où le pire l'emporte souvent sur le meilleur, Robert Merle, avec la Volte des Vertugadins (Fallois), et Amin Maalouf, avec les Jardins de lumière (Lattes), ont prouvé que le grand public savait reconnaître la qualité de l'écriture et le sérieux de l'information, alliés avec le don de conter. À contre-courant des modes. Sire (Fallois) de Jean Raspail a rallié les suffrages d'un public sensible à l'intrusion incongrue de la chevalerie à l'ère du « métro-boulot-dodo ». Du côté de la poésie, il faut relever la parution du centième ouvrage de la collection « Orphée » animée par Claude-Michel Cluny (La Différence), entreprise exemplaire, couronnée par le succès et récompensée par le prix Diderot-Universalis. Dans la catégorie des romans légers et faciles, Où sont mes lunettes ? (Flammarion), de Nicole de Buron, et Mademoiselle, s'il vous plaît (Flammarion), de Claude Sarraute, ont diverti l'été de ceux qui cherchent avant tout dans un roman une évasion et un divertissement.

La disparition d'« Apostrophes », qui avait mis en deuil le petit monde littéraire, a été compensée par le succès de l'émission de Bernard Rapp, « Caractères », qui, peu à peu, a pris la place de Bernard Pivot, dont la nouvelle émission, « Bouillon de culture », a fini par trouver sa recette après quelques tâtonnements. Mais le temps n'est plus où les émissions littéraires suscitaient passions et disputes. Là encore se remarquent une certaine désaffection, une indifférence grandissante envers la chose écrite et ses acteurs qui semblent mimer les gestes qu'on attend d'eux, mais auxquels personne ne croit plus guère.