Comportement à peu près similaire de l'orfèvrerie : quelques flambées éparses à Londres et à Genève, sur le « top-niveau » ; au point qu'on a pu croire, en janvier, quand brûlaient également les puits de pétrole, à un retour du rôle traditionnel de valeur-refuge joué par l'argenterie. Erreur : ces prix ne concernaient que certaines pièces rarissimes, « superbissimes » ou signées par des orfèvres illustrissimes. Le plus surprenant fut celui de 9 MF offert à New York pour le service du comte d'Égremont, devenu service Marcos, signé par Paul Storr au début du xixe s., et qui avait coûté moins de 2,5 millions en 1979... Pour le reste, pas de changement sur l'argenterie courante et quotidienne : plats, cafetières, couverts, etc. On constate même un tassement sur l'argenterie Art déco, reine de ces dernières années, mais qui suit la tendance du mobilier 1925.

Aux Japonais absents

De fait, les créations Art déco, les meubles de Ruhlmann, de Printz, de Pierre Chareau et des autres, qui se maintenaient fermes jusqu'à l'an dernier, commencent à subir, eux aussi, les effets de la crise ; en partie pour cause de désertion des Japonais, mais en partie seulement, car le décor des Années folles bénéficie (« bénéficiait » serait plus juste) d'une clientèle européenne de marchands et de collectionneurs. Mais le marché a été faussé par une abondance d'objets médiocres ; et surtout, là encore, par une spéculation incontrôlée. Et par un certain nombre de faux. Il a donc besoin de s'assainir.

Comme pour les tableaux, d'ailleurs, il suffit qu'un ensemble cohérent, de bonne provenance, et n'ayant jamais vu l'ombre d'un marteau d'ivoire, apparaisse aux enchères pour que tous – marchands, collectionneurs, et même musées – se précipitent pour acheter. En l'occurrence, le mobilier d'Eilen Gray, par elle-même, présenté en octobre à Monaco, était passablement rouillé et fatigué ; ce qui ne l'a pas empêché d'être adjugé entre 50 000 et 300 000 F..., avec plusieurs préemptions à la clef.

Rien de tel pour les vérreries Art nouveau, qui se ramassent à la pelle, se ravalent, plutôt, dans des ventes trop nombreuses et approvisionnées surtout en vérreries industrielles. Cela faisait illusion du temps des Japonais omniprésents ; maintenant qu'ils ne sont plus là, les prix ont chuté de 30 à 50 %. Une lueur d'espoir apparaît pourtant du côté de Tokyo, où une vente de ce genre de vases, avec des estimations bien raisonnables il est vrai, a connu un beau succès.

Contre toute attente, en revanche, l'art islamique, dont le marché est très actif à Paris, a bien résisté à la guerre du Golfe. Si les émirs ne se précipitent plus sur les lustres de cristal et sur les meubles Napoléon III, s'ils ont tempéré leurs achats de « fringues », de bijoux et de Rolls..., les collectionneurs turcs continuent de se passionner pour l'argenterie ottomane des xviiie et xixe s. et pour les céramiques d'Isnik du xvie s. Sur ce dernier point, ils sont en forte concurrence avec les amateurs occidentaux, qui les apprécient de longue date.

Lors de la vente Lagonico, à Monaco, Sotheby's a même remarqué de nouveaux acheteurs, mais n'a pas enregistré de nouveaux records (le dernier – autour de 1 300 000 F – remonte à 1989), les plus belles pièces s'adjugeant entre 100 000 et 800 000 F. Il reste aussi des collectionneurs iraniens (tous ne vivent pas sous le régime des ayatollahs), amateurs de manuscrits persans enluminés et de laques kadjar. Mais l'événement le plus étonnant, en matière d'art islamique, a été l'apparition fortuite et successive, à Orléans et à Rennes, de deux lampes de mosquées syro-égyptiennes, oubliées dans des greniers familiaux, mais qui surent en sortir très à propos pour se faire vendre, la première 1 895 000 F, et la seconde 2 262 000 F. À défaut de celles du marché, les ressources des greniers semblent inépuisables...

Ce rapide tour d'horizon n'a retenu que les tendances les plus évidentes et les événements les plus marquants de l'année. La tendance générale est à la baisse... sélective, dans tous les domaines, allant de la dégringolade au simple tassement. Le marasme affecte d'abord les marchés les plus spéculatifs, mais, et c'est plus grave, ils entraînent dans leur chute l'ensemble des catégories du marché de l'art. À l'exception de quelques secteurs nouveaux et passionnels mais dont on ne peut prévoir les chances d'avenir.

Françoise Deflassieux
Journaliste spécialisée dans les ventes aux enchères et les Salons d'antiquités, Françoise Deflassieux est également l'auteur d'un Guidargus de l'argenterie (Éd. de l'Amateur) et de plusieurs ouvrages sur le mobilier régional (Éd. Balland).