Il en est de même du théâtre, que subventions nationales et locales font vivre. C'est le cas du festival d'Avignon où les Comédies barbares de Valle-Inclan furent mises en scène par Jorge Lavelli. Cette manifestation, qui reste le principal rendez-vous de l'art dramatique en France, a vu le triomphe d'Armand Gatti (Ces empereurs aux ombrelles trouées) et de Peter Brook (la Tempête). En revanche, les subventions ont été modestes pour les deux révélations les plus notables de l'année : Stéphane Braunschweig (les Hommes de neige, au Centre dramatique de Gennevilliers) et Anouk Grinberg dans la Maman et la Putain de Jean Eustache, mis en scène par Jean-Louis Martinelli, un Lyonnais. On retrouvait cette comédienne dans le Temps et la Chambre de Botho Strauss, qui marque le retour de Patrice Chéreau à la scène (Théâtre de l'Odéon).

Dans le domaine du cinéma, l'aide à la création est capitale en France. Elle permet aux metteurs en scène français de se maintenir à peu près seuls en Europe face à la déferlante américaine. Pourtant, malgré une légère reprise de la fréquentation en salle, la part du cinéma national continue de s'effriter. La situation est d'autant plus déséquilibrée que les cinématographies de l'Est ont littéralement implosé après l'effondrement des régimes communistes. Aujourd'hui, les cinéastes de ces pays cherchent désespérément des partenaires financiers à l'Ouest. Certains les trouvent, comme Nikita Mikhalkov dont le film Urga dépeint ironiquement les mutations de la société mongole en proie à la modernisation. C'est aussi un hymne aux grands espaces, comme l'est Danse avec les loups, de et avec Costner, l'un des plus gros succès de l'année. Un succès américain à l'image de Barton Fink, des frères Coen, qui a obtenu, au milieu d'un certain tumulte, la palme d'or du festival de Cannes, la troisième palme américaine en trois ans.

Le cinéma français serait, lui, plutôt d'inspiration picturale, cette année. Jacques Rivette met en scène, dans sa Belle Noiseuse, les relations d'un peintre et de son modèle. Maurice Pialat ne craint pas de s'attaquer au mythe de Van Gogh, dont il met en images les derniers mois de la vie. Leos Carax a, quant à lui, réussi à sortir enfin ses Amants du Pont-Neuf, après un tournage tumultueux et un budget initial multiplié par quatre. Mais que sont ces 130 millions de francs en comparaison des 100 millions de dollars dépensés par Hollywood pour truffer d'effets de synthèse le Terminator 2 où le musculeux Arnold Schwarzenegger se transforme à vue d'oeil. C'est le film le plus cher de l'histoire du cinéma. C'est aussi l'un des premiers à faire massivement appel aux nouvelles technologies de l'image décomposée et reconstruite par ordinateur. Peter Greenaway, dans Prospero's books, et Wim Wenders, dans Jusqu'au bout du monde, en ont fait également usage. Un usage infiniment plus subtil, évidemment.

Cette réflexion sur le collage et le montage se retrouve dans le domaine musical. Pierre Boulez – qui quitte cette année l'IRCAM – y a fréquemment recours. Un re in ascolto, l'opéra de Luciano Berio, créé cette année à Paris, procède du même travail. Il multiplie citations et références, il cite Mahler, Berg, Stravinsky et Villa-Lobos et conçoit la mise en scène comme une suite de métamorphoses. La dernière création de Peter Sellars, The death of Klinghoffer, montée au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, n'est pas moins hétérogène. Sur un thème fourni par l'actualité récente, le détournement du paquebot Achille Lauro, Sellars exécute des variations où le souvenir de l'opéra italien du xixe siècle se mêle aux réminiscences de chants traditionnels palestiniens. Mozart, dont on fêtait bruyamment le bicentenaire de la mort, a donné l'occasion à Bob Wilson, à l'Opéra Bastille, d'introduire dans la Flûte enchantée un peu de Japon, un peu d'Egypte, un peu de science-fiction, le tout dans un climat de design néon.

Philippe Dagen et Emmanuel de Roux