Nul n'avait contesté le double objectif avoué de ce texte : limitation et transparence du financement des campagnes électorales ; instauration d'une aide publique aux partis dont le montant devait être désormais proportionnel à leur audience électorale mesurée par le nombre de voix obtenues au premier tour dans au moins 75 circonscriptions. Assortie d'une autorisation de financement par des dons privés limités et comptabilisés sous le contrôle d'une « Commission nationale des comptes de campagne et de financement politique » de neuf membres, cette loi satisfaisait les petites formations sans susciter l'ire des grandes. Seul, l'article 19 posait problème, car il amnistiait, « sauf en cas d'enrichissement personnel de leurs auteurs..., toutes les infractions commises (en ces matières) avant le 15 juin 1989 par une personne investie à cette date d'un mandat parlementaire national ».

Le plus connu des bénéficiaires de cette autoamnistie fut, le 4 avril, l'homme de l'affaire du Carrefour du développement, le socialiste Christian Nucci. Condamné par 70 à 75 % des Français, selon les sondages, ce blanchiment des élus fut combattu par l'opposition qui, à une abstention près, vota (262 voix), mais en vain, le 9 mai 1990, la motion de censure déposée le 4 à l'initiative de son Comité de coordination.

Au nom des magistrats également ulcérés, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris voulut dénoncer le caractère pervers de l'article 19. Contrainte de renoncer à poursuivre les parlementaires dans l'affaire des fausses factures de la SAE (Société auxiliaire d'entreprises), elle n'hésita pas, dès le 2 mai, à renvoyer devant le tribunal correctionnel neuf des inculpés dépourvus de mandat électif. Le plus connu était l'un des hommes clefs du financement du Parti socialiste et de la campagne présidentielle de François Mitterrand : Gérard Monate.

C'était souligner qu'il existait en France une justice à deux vitesses, ce que fit bientôt l'inspecteur Antoine Gaudino dans son livre l'Enquête impossible, publié en octobre chez Albin Michel. En rappelant que le nouveau garde des Sceaux, Henri Nallet, avait été trésorier de la campagne présidentielle du chef de l'État en 1988, en laissant entendre qu'il n'avait pas ignoré l'origine des fonds dont il disposait, l'auteur donnait une nouvelle vigueur à l'antiparlementarisme, que renforçaient l'arrestation, en janvier, du maire RPR de Toul, Jacques Gossot, la retraite en Amérique du Sud, en septembre, de son collègue de Nice, Jacques Médecin, la mise en cause, le 24, du député-maire UDF de Lège-Cap-Ferret, Robert Cazelet, puis celle de deux députés socialistes : Jean-Michel Boucheron, ancien maire d'Angoulême, et André Laignel, maire d'Issoudun !

L'amnistie, certes, n'a sauvé que quelques individus, mais elle n'a pu disculper la classe politique du délit de corruption qui la discrédite. Dommage pour les élus intègres. Dommage pour la démocratie, mise en péril à terme par les rapports obscurs qu'entretiennent en France le Pouvoir et l'Argent.

Pierre Thibault