Bouge pas, meurs, ressuscite traite, sur un mode autobiographique, du sort d'un enfant qui doit vivre, au lendemain de la guerre (1947), à proximité d'un camp de prisonniers. Ce film « épique » évoque sans fard – et sans esprit militant – quelques aspects de l'enfer stalinien quotidien vu du côté des anonymes. À l'opposé, Taxi Blues table sur un aspect moderne – que l'auteur a souhaité inédit – de Moscou, vue comme une ville bruyante et nocturne, un nouveau New York en somme, habitée par toute une faune de marginaux, d'artistes qui rêvent à un modèle de vie occidental, sans avoir encore abandonné certains modes de pensée : les fantasmes de l'ordre et de l'antisémitisme – que Lounguine condamne – parcourent insidieusement tout le film.

La plupart des autres produits des pays de l'Est sortis cette année ressortissaient aux derniers spasmes de l'ancien régime. Plus qu'une véritable vision du monde, les travaux du Bulgare Petar Popzlatev (Moi, la comtesse, 1989, qui évoquait les problèmes liés à la drogue à la fin des années 60, avec d'évidents clins d'œil à la période actuelle) et de l'Estonien Arvo Iho (l'Observateur, 1988, analysant la question du saccage écologique) sont apparus comme des films-manifestes un peu vieillots. L'histoire les a dépassés. Seuls les dix épisodes du Décalogue, tournés par le Polonais Krzysztof Kieslowski (1988-1989), ont le mérite de refléter – en prenant pour base les textes bibliques mais sans les illustrer – quelques préoccupations d'ordre social ou moral dont le message peut servir de point d'appui à toute réflexion sur la société future : c'est un des rares films-gigognes venus de l'Est à avoir une valeur prospective.

L'arrivée (toujours modeste, hélas !) d'œuvres en provenance d'Asie obéissait à de tout autres critères. Les problèmes socio-familiaux présentés dans l'Aiguillon de la mort, du Japonais Kohei Oguri, ou les problèmes politiques exposés dans Cité des douleurs, du Taiwanais Hou Hsiao-hsien, développent des arabesques, un formalisme « apollinien », qui pourraient servir de réservoir esthétique à tout un pan du cinéma européen ou américain anémié par un recours quasi systématique au langage télévisuel. Ici, chaque plan est pensé, ciselé avec un soin d'orfèvre. Il en va de même avec Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? du Sud-Coréen Yong-Kyun Bae, qui a voulu traduire en images quelque chose de la philosophie zen et y est parvenu d'une manière tout à fait stupéfiante.

Une année fantastique

Dans le cinéma de genre, le fantastique a dominé l'année. La palme d'or cannoise a été remportée par David Lynch – auteur, entre autres, de Eraserhead et Elephant Man – pour Sailor et Lula, film qui, s'il n'est pas « fantastique » quant au fond (c'est plutôt un road movie sur les fantasmes de la jeunesse américaine actuelle), a utilisé des procédés d'ellipse du récit et une forme particulière qui le rattachent au genre.

La plupart des films présentés en 1990 ont tenté de renouveler diverses veines du fantastique. Embrasse-moi vampire (Robert Bierman, É-U) a jeté un regard inédit sur le vampirisme, où l'au-delà n'intervient quasiment pas : un jeune cadre, victime de troubles, se persuade qu'il est un vampire et martyrise sa secrétaire. La Nurse (William Friedkin, É-U) et To Sleep with Anger (Charles Burnett, É-U) ont plongé dans cette zone d'ombre où paganisme et mystique chrétienne se croisent.

Enfin, il faut signaler Total Recall, de Paul Verhoeven (É-U) qui, sous des dehors très spectaculaires et science-fictionnels, et à l'instar de Videodrome ou de la Mouche du Canadien David Cronenberg, traite de l'influence des nouvelles technologies (vidéo, images de synthèse, génétique...) sur l'homme et son devenir, et des modifications qui interviennent aussi bien dans l'organisme que dans le psychisme humains.

Raphaël Bassan

Photographie

1990 a débuté par la publication d'un livre monumental qui dresse le bilan controversé de la mission de la DATAR. Tandis que la galerie Michèle Chomette révèle les études photographiques du peintre José Maria Sert, la galerie Urbi Orbi de Gilles Dusein affiche son dynamisme en montrant Ellen Brooks, Pierre Molinier ou Thomas Struth.