Françoise Devillers

Musique

Les péripéties liées à la mise en route de l'Opéra Bastille terminées, du moins en apparence, d'autres clignotants rouges se sont allumés dès le mois de janvier.

En effet, les grands orchestres nationaux (National de France, Opéra, Philharmonique et Orchestre national de Lyon) ont alerté l'opinion publique avec les moyens qui leur sont habituels (menaces et préavis de grève) et par l'intermédiaire du puissant syndicat des artistes musiciens. Contestant les programmes, les nominations, les salaires, les contrôles de fonction, les conditions de travail et les méthodes de recrutement, ils partirent en guerre contre les chefs qu'on leur avait donnés et engagèrent une partie de bras de fer avec l'Administration. Le public a donc attendu l'été avant de retrouver le National de France sous la baguette de Charles Dutoit, appelé à succéder à Lorin Maazel, démissionnaire.

Le monde musical frémissait par ailleurs de la polémique opposant Pierre Boulez à la direction de la Musique et de la Danse et, plus spécialement, à son directeur Michel Schneider. Les deux institutions dont Pierre Boulez est responsable, l'IRCAM et l'Ensemble intercontemporain, ayant fait l'objet de nouvelles attaques, leur directeur a cru bon de dénoncer publiquement le peu d'intérêt porté par Michel Schneider à la musique contemporaine ainsi qu'aux deux grandes réalisations en cours : l'Opéra Bastille et la Cité de la musique. Les réponses du directeur de la Musique et de la Danse ont redéfini les rôles respectifs de l'artiste et du gestionnaire public et précisé celui de son administration en matière de création et d'enseignement. De ces orientations doit dépendre la place qu'occuperont à l'avenir les musiciens français dans le monde.

Tournée vers l'Est

Les grands théâtres parisiens et certains festivals ont programmé plus d'œuvres françaises qu'à l'accoutumée. Le 17 mars, Berlioz triomphait à l'occasion de l'ouverture définitive de l'Opéra Bastille avec les Troyens, dirigés par Myung-Whun Chung, non sans avoir préludé à cette inauguration officielle avec la Damnation de Faust dans la version de Colin Davis.

En juin, le public recevait la preuve du retour à l'état de grâce de l'orchestre de l'Opéra dans un programme consacré à Messiaen, Ravel et Berlioz. Ce dernier fut encore entendu au Châtelet dans le cadre d'une programmation attachée à la chronologie dans l'histoire de la musique et ouverte aux compositeurs français (Berlioz, Massenet, Dukas, Meyerbeer, Saint-Saëns). L'Opéra-Comique, quant à lui, a réouvert ses portes avec Ravel et Falla avant de consacrer ses soirées à Bizet, Massenet et Auber. La France des festivals n'est pas restée étrangère à ce courant de réhabilitation : la ville de Saint-Étienne va désormais honorer Massenet tous les deux ans. La saison 90 avait prévu la représentation de Cléopâtre et l'exécution en concert d'un oratorio, la Vierge.

La France s'est également tournée vers l'Est. Au cours d'un festival organisé par l'Association pour la musique et les arts tchécoslovaques, un long hommage a été rendu à Bohuslav Martinu à l'occasion du centenaire de sa naissance. Le théâtre des Champs-Élysées a accueilli le théâtre Maly de Leningrad pour un cycle de quatre opéras russes de Moussorgski (la Kovantchina, Boris Godounov) et de Tchaïkovski (Eugène Onéguine, la Dame de pique). Le public a pu apprécier le travail d'équipe d'un théâtre travaillant à plein rendement (358 représentations par an) sous la direction de Stanislav Gaoudassinski et d'un chef permanent, Valentin Kojin, qui, en octobre à Montpellier, a demandé l'asile politique à la France. Il a été remplacé par Jonas Alexa. Le théâtre des Champs-Élysées a également reçu l'Opéra de Varsovie pour une représentation du Prince Igor de Borodine sous la direction du même Valentin Kojin.

1990 a été l'année des mises au point et le théâtre musical n'a pas échappé à la règle. À Strasbourg, Musica 90 a resitué ce genre musical, cantonné depuis les années 70 entre le festival off d'Avignon et les ondes de France Culture. Jojo, de Georges Aperghis, sur une histoire de Philippe Minyana, Européras 3 et 4, de John Cage, et Labyrinthe Hôtel, de Luc Ferrari, d'après le roman Calypso de Colette Fellous, ont retrouvé un public.