Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

Hubble : les déboires d'un télescope spatial

Le 24 avril, lorsque décolle de cap Canaveral la navette Discovery emportant dans sa soute le télescope spatial Hubble (HST), les astronomes ne cachent pas leur satisfaction. Voilà sept ans qu'ils attendaient cet événement, différé à plusieurs reprises, d'abord pour des retards dans la fabrication de l'instrument, puis à cause de l'interruption des vols de navettes consécutive à l'explosion de Challenger.

Long de 13,1 m pour un diamètre maximal de 4,3 m et pesant environ 11 t, le HST est le satellite astronomique le plus gros, le plus puissant et le plus sophistiqué jamais lancé. Le plus coûteux aussi, puisqu'il représente un investissement de plus de 2 milliards de dollars. Doté d'un miroir primaire de 2,40 m de diamètre et de cinq instruments scientifiques (2 chambres photographiques, 2 spectrographes, 1 photomètre), il est conçu pour observer les astres de l'ultraviolet à l'infrarouge, avec une résolution angulaire dix fois meilleure qu'au sol.

La mise en orbite de ce bijou technologique s'avère plus délicate que prévu. Avant le largage de l'instrument dans l'espace, à quelque 600 km d'altitude, le 25 avril, les astronautes éprouvent quelque peine à déployer ses panneaux solaires. Le surlendemain, c'est l'ouverture du couvercle d'aluminium obturant le tube du télescope qui se révèle laborieuse. Par ailleurs, les contrôleurs du vol parviennent difficilement à établir les premières liaisons radio entre le sol et le satellite.

Il est myope !

Tout rentre bientôt dans l'ordre et, le 20 mai, la réception des premières images fournies par le télescope est saluée avec enthousiasme. On se préoccupe toutefois des vibrations liées aux écarts thermiques qui affectent l'instrument lors de ses passages de l'ombre à la lumière, ou vice versa. Mais, surtout, fin juin, les spécialistes doivent se rendre à l'évidence : le HST est « myope », les images qu'il transmet sont comme embuées. Une analyse précise du phénomène permet d'établir que le défaut provient du miroir primaire. Celui-ci est entaché d'aberration sphérique, due vraisemblablement à un défaut de courbure d'environ deux millièmes de millimètre au niveau du bord extérieur. Une erreur de polissage incroyable, qui aurait pu aisément être détectée si l'ensemble du système optique avait été testé au sol dans sa configuration de fonctionnement.

Les astronomes sont consternés : bon nombre d'objectifs du HST risquent de ne pouvoir être atteints, alors qu'on attendait de cet instrument une révolution dans la connaissance de l'Univers comparable à celle qu'autorisa naguère la lunette de Galilée. Le coup est particulièrement rude pour les Européens : des cinq instruments scientifiques placés au foyer du télescope, celui qu'ils ont fourni, la chambre de vues pour objets faiblement lumineux (FOC), sera l'un des plus affectés, avec une sensibilité très inférieure à celle espérée. Au fil des semaines, la situation apparaîtra cependant moins catastrophique qu'on ne le craignait, l'utilisation d'ordinateurs et de programmes appropriés permettant d'améliorer grandement la qualité des images brutes. Par ailleurs, opérant au-dessus de l'atmosphère, le HST reste un outil incomparable pour l'étude du ciel dans l'ultra-violet.

Grâce à la FOC, les astronomes disposent aujourd'hui des meilleures images jamais obtenues de la planète Pluton et de son satellite Charon. Ils ont pu aussi visualiser l'expansion de l'enveloppe extérieure de la supernova dont l'explosion a été observée en 1987 dans le Grand Nuage de Magellan. Ils ont également mis en évidence autour du vestige de cette étoile un anneau de gaz, éjecté vraisemblablement dix mille ans avant l'explosion, et qui est à présent lumineux parce que chauffé et fortement ionisé par le rayonnement intense de la supernova. Enfin, ils ont obtenu les photographies les plus détaillées à ce jour du jeune amas stellaire R 136, au centre de la nébuleuse 30 Dorade, et de la lentille gravitationnelle G2237 + 0305, montrant quatre images d'un quasar très éloigné (8 milliards d'années-lumière) dont la lumière est courbée par le champ gravitationnel d'une galaxie vingt fois plus proche, située dans la même direction.

En fin de compte, malgré son handicap, le HST se révèle bien apte à fournir des résultats spectaculaires, et les astronomes s'attachent désormais à adapter leurs programmes d'observation pour tirer le meilleur parti de l'instrument en attendant l'installation future de dispositifs correcteurs ou de nouveaux équipements scientifiques.

Philippe de la Cotardière