Le nouvel emploi

Les entreprises veulent maintenant embaucher mais se heurtent à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Pris au piège, les chômeurs tendent à le rester et le marché du travail, déstructuré, vit dans la précarité des nouvelles formes d'emploi.

En France, depuis le milieu de l'année 1987, la situation du marché du travail collectionne les paradoxes. Après les gains, relativement modestes, enregistrés par l'emploi total – où se confondent les emplois salariés et non salariés –, les effectifs des entreprises ont commencé à augmenter. De 200 000 salariés en 1988, et peut-être de 250 000 selon l'UNEDIC ; de 250 000 en 1989, et peut-être de 400 000 selon l'UNEDIC, dont l'optimisme a été jusqu'à présent toujours confirmé par les faits.

Or, pendant la même période, le chômage n'a pratiquement pas diminué, avec un nombre de demandeurs d'emploi qui oscille continuellement aux alentours de 2,5 millions. La baisse a été de 30 000 en 1988. Elle devrait être de l'ordre de 40 000 en 1989. Une misère, en comparaison du mouvement des créations d'emploi, pourtant plus faible en France que dans la plupart des pays industriels d'Occident à croissance comparable. Ainsi que le répète depuis plusieurs mois M. Jean-Pierre Soisson, ministre du Travail, « la reprise ne mord pas sur le chômage ». Pis, celle-ci est « sélective ».

Une situation paradoxale

Pris au piège de l'ANPE, les chômeurs le restent. La durée moyenne d'inscription augmente, et dépasse maintenant 370 jours. Plus de 800 000 personnes figurent sur les listes depuis plus d'un an et la proportion de celles qui recherchent en vain un emploi depuis deux ou trois ans, voire plus, ne cesse de croître. Près de 400 000 d'entre elles ont pratiquement perdu tout espoir de redevenir actives : ce sont les chômeurs âgés de plus de 50 ans, les jeunes sans diplôme, passés de stages de réinsertion à des travaux d'utilité collective, et surtout les femmes, si elles sont jeunes et sans formation ; si elles ont entre 25 et 49 ans ; ou si elles ont suffisamment travaillé pour avoir droit aux indemnités de chômage, et qu'elles maintiennent leur demande d'un emploi lorsqu'elles ont plus de 50 ans. Car on ignore ce qu'il en est pour les autres.

La relance économique aidant, on assiste pourtant au retour des premiers signes d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée dont se plaignent de plus en plus les employeurs. Particulièrement ceux du bâtiment et des travaux publics qui, après avoir perdu 600 000 emplois jusqu'en 1984, ont brusquement découvert qu'ils ne disposeraient plus des ressources nécessaires en personnel formé pour faire face à l'accroissement des commandes. Mais d'autres secteurs s'inquiètent également, comme la métallurgie, notamment en région parisienne, et les entreprises industrielles en général.

Encore s'agit-il là des besoins exprimés pour des tâches d'exécution ou de production. Quand il faut recruter des cadres et des spécialistes, les manques se font davantage sentir. Il n'est que de voir la rubrique des « petites annonces » des journaux et des magazines pour prendre conscience de l'ampleur du phénomène. En douze mois, le volume des offres a progressé de 30 % et quasiment toutes les compétences sont fébrilement recherchées. Les informaticiens, bien sûr, mais aussi les gestionnaires, les financiers et même, depuis peu, les ingénieurs de production. Florissants, les cabinets de recrutement pullulent. Les chasseurs de têtes, pour le très haut de gamme confirmé ou l'oiseau rare, éprouvent des difficultés grandissantes à satisfaire leurs clients.

En un an, les « rendements », c'est-à-dire le nombre de réponses positives données aux annonces, ont chuté de 50 %. Tous les intermédiaires s'accusent alors, les signes de la surchauffe étant là pour prouver que le marché s'affole. Réduit au carré prestigieux des grandes écoles, le système scolaire ne produit que 14 000 ingénieurs par an, et 70 000 jeunes diplômés, si l'on accepte d'élargir le cercle. Or, l'ensemble des entreprises performantes parmi les plus connues, mais aussi celles qui aspirent à rentrer dans ce club restreint, sans compter la multitude des PME ou des PMI, veulent embaucher ce qui se fait de mieux pour assurer leur avenir et rester dans le peloton de tête de la course à la compétitivité.