Panorama

Introduction

Dans la société, comme en amour, la seule victoire possible serait-elle la fuite ? C'est ce que suggère la double échappée, dans le temps et dans l'espace, à laquelle on assiste aujourd'hui. La commémoration du Bicentenaire de la Révolution a mis la République sur un piédestal. Mai les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité n'ont pas, pour les citoyens français, le même poids.

La double fuite sociale

La fuite sociale dans le temps se fait d'abord vers l'arrière. Elle se manifeste par exemple par les modes « rétro », qui ont successivement fait grimper les prix des objets Art déco des années 20 dans les ventes aux enchères, remis au goût du jour les vêtements et accessoires des années 50, fait redécouvrir les chansons des années 60 et ressortir les images d'archives de la télévision.

Elle se manifeste aussi par les « retours » périodiquement mis en évidence par les observateurs de la « société civile » et solennellement annoncés par les médias : retour de la famille, du mariage, de la fidélité, des valeurs traditionnelles, des rentiers, des intellectuels, de l'esprit d'entreprise, de l'esprit d'aventure, du beau, du culturel, du romantique, du spirituel, de l'écologie, de la philosophie, etc. On peut d'ailleurs remarquer que les attitudes et les comportements contemporains tendent à suivre des cycles de plus en plus courts : la libération sexuelle amena quelques années après un renforcement de la chasteté ; la « femme libérée » des années 70 se demandait au début des années 80 si elle n'était pas en train de perdre sa féminité ; « la France qui gagne » de 1985-86 devint en 1987 la « France du déclin »... Entre libéralisme, laxisme et conservatisme, le balancier social oscille de plus en plus vite.

La fuite dans le temps passé a trouvé plus récemment son institutionnalisation avec la mode des commémorations officielles. Chaque année, chaque jour même fournit son lot de souvenirs et d'émotions ; les Français n'en finissent pas de souffler les bougies des gâteaux d'anniversaire de l'histoire, avec ou sans majuscule. Ils ont au gré du calendrier une pensée pour le général de Gaulle, Georges Pompidou, les Capétiens, Jeanne d'Arc, Victor Hugo, Jean Monnet, Danton ou Robespierre... Les émissions-nostalgie à la radio (c'est sur ce concept, précisément, qu'a été bâtie Radio-Nostalgie et quelques autres radios de la bande FM) ou à la télévision (Avis de recherche sur TF1, Vive la télé sur la Cinq, Océaniques sur FR3...), les succès de librairie des historiens, amateurs ou professionnels, témoignent de ce besoin des Français de regarder en arrière pour y retrouver leurs ancêtres et la chaleur des certitudes passées. L'aboutissement et le point d'orgue de la « commémorite aiguë » qui frappe la France depuis quelque temps est bien sûr cet « alibicentenaire » de la Révolution de 1789, qui a occupé l'essentiel de la vie politique et culturelle de 1989.

Mais cette fuite sociale dans le temps se fait aussi vers l'avant. Les Français ont noté sur leur agenda deux grands rendez-vous avec l'histoire : celui, européen, de 1993 ; celui, plus psychologique et mythique, de l'an 2000 et du IIIe millénaire. Le « planning » de ces deux opérations à grand spectacle est d'ailleurs parfait puisque la première devrait cesser d'occuper le devant de l'actualité au moment où le compte à rebours de la seconde commencera. On imagine qu'elle sera elle-même suivie d'une commémoration du siècle et du millénaire passés...

La fuite dans l'espace

Non contents de fuir dans le temps, les Français fuient aussi dans l'espace. Comme si l'Hexagone était devenu subitement trop restreint, insuffisant en tout cas pour assurer la protection et la prospérité de ses habitants. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à voyager, et à rechercher l'exotisme, vers des destinations au dépaysement garanti sur catalogue : Égypte, Thaïlande, Antilles, Chine (avant les événements de 1989) et bien sûr : URSS, « must » de tous ceux qui veulent se donner l'impression de voir l'histoire en train de se faire.