Le parti communiste d'URSS, symbole de l'unité à l'échelle du pays tout entier, subit un assaut identique. Le PC de Lituanie dit sa volonté de devenir indépendant et, malgré la convocation de ses dirigeants en novembre à Moscou, refuse de céder aux objurgations de Gorbatchev qui ne peut accepter d'être le liquidateur du « Parti de Lénine ».

L'autorité de Gorbatchev est d'ailleurs battue en brèche d'une autre manière au Caucase. L'Azerbaïdjan, mécontent de ne pas voir son autorité sur le Haut-Karabakh pleinement reconnue, a entrepris de bloquer tous les accès de l'Arménie. La première conséquence est l'asphyxie de l'Arménie, mais aussi la désorganisation générale des transports ferroviaires en URSS, partant la mise en cause des circuits d'approvisionnement.

L'économie désorganisée

La décomposition nationale de l'URSS se conjugue ainsi avec la désorganisation générale de l'économie. Près de cinq ans de perestroïka se traduisent par une aggravation de la vie quotidienne. Les magasins vides, les queues toujours plus longues, la nécessité de rationner les produits de base – sucre, savon, etc. – dans un certain nombre de villes, l'interdiction faite aux provinciaux de venir s'approvisionner dans la capitale, ont des causes variées : les récoltes toujours en retrait des prévisions (plus de 35 millions de tonnes de céréales manquent en 1989), une inflation que le pouvoir hésite à admettre mais qui grève dangereusement les budgets de la partie la plus démunie de la population, l'inefficacité aussi des structures économiques issues de la réforme.

Le plénum du CC de novembre a lancé un vrai cri d'alarme sur la décomposition économique et le Premier ministre Ryjkov a dû annoncer une politique en retrait sur les décisions « libéralisantes » de ces dernières années. En insistant sur les vertus du plan, sur la nécessité de préserver les structures collectives à la campagne et le rôle de l'État dans l'entreprise, Ryjkov ébranle les propositions faites aux paysans et aux entrepreneurs dans le projet de loi sur la propriété. Entre un texte donnant aux paysans la propriété du sol et le droit d'en disposer pour la léguer ou la céder et l'insistance sur le rôle maintenu des instances collectives – sovkhozes et kolkhozes –, la distance est grande et nourrit sans aucun doute la méfiance des paysans à l'égard des offres gouvernementales.

Dans une interview du 18 novembre, Egor Ligatchev, co-président de la Commission d'agriculture du CC du PCUS, ne s'est pas privé de dire son désaccord avec le projet de transfert de terres aux paysans, contribuant ainsi à accroître l'impression d'une politique de transition et non d'un choix politique clair.

La grève et son exercice

C'est la pénurie des biens les plus élémentaires qui a ouvert en URSS le cycle des grèves qui prend maintenant des proportions alarmantes. La grève des mineurs commencée en Sibérie en juillet a gagné le bassin du Donets, Vorochilovgrad et Dniepropietrovsk en Ukraine avant d'atteindre Vorkuta en Extrême-Orient, Rostov sur le Don au Sud et Karaganda au Kazakhstan. En quelques jours, ce premier grand mouvement de grèves depuis 1917 couvre la quasi-totalité du monde minier et fait la démonstration de trois données encore inconnues en URSS. D'abord l'ampleur de la pénurie des biens de consommation et le caractère dérisoire des stimulants matériels en regard de cette pénurie : les mineurs sont parmi les salariés les mieux payés en URSS ; ils vivent pourtant dans des conditions exceptionnellement misérables car l'État est incapable de leur fournir les biens les plus élémentaires. Deuxième donnée, la capacité des mineurs à s'organiser en dehors de toute structure officielle. Les comités de grève qui ont surgi dans les mines ont ignoré les syndicats et autres organisations sociales, et se sont très rapidement montrés capables de mobiliser et d'encadrer les grévistes qui leur ont d'emblée reconnu une représentativité incontestée. Enfin, dernière donnée, le désarroi du système politique, habitué jusqu'à aujourd'hui à ne traiter qu'avec des représentants officiels – les syndicats – et convaincu que la société soviétique n'est pas prête pour une mobilisation autonome du monde du travail sur le modèle polonais.