Pays de l'Est : le grand bouleversement

L'année 1989 a été marquée par le changement subit et radical du paysage politique qui caractérisait la Russie depuis 1917 et toute l'Europe de l'Est depuis 1945.
Cette révolution est partie de l'URSS, de la stratégie de Mikhaïl Gorbatchev et s'inscrit en plusieurs chapitres : évolution démocratique, explosions nationales, désastres économiques, bouleversements internationaux.

Le 1er décembre 1988, l'évolution de l'URSS s'est brusquement accélérée lorsque le Soviet suprême a décidé de remanier la Constitution de 1977. Cette réforme, annoncée dès le XXVIIe congrès du Parti en 1986, imposée par les propositions de la Conférence du PCUS de juin-juillet 1988, est importante dans la forme et dans le fond. Dans la forme, puisqu'elle est adoptée, pour la première fois, à la majorité (et non à l'unanimité). Dans le fond, car elle modifie radicalement le système politique soviétique dans trois domaines. Elle instaure la pluralité des candidatures, donnant ainsi à l'électeur la possibilité – qu'il n'avait encore jamais connue – de choisir son représentant. Le Soviet suprême, parlement de l'URSS à l'existence jusqu'alors épisodique, devient une instance permanente, ce qui lui permettra de participer réellement à l'exercice du pouvoir. Enfin, la création du Comité de contrôle constitutionnel constitue une étape décisive pour la naissance d'un État de droit.

Certes, cette réforme ne résout pas tout. Le Parti communiste reste l'organe dirigeant de l'URSS et cela affaiblit le rôle du parlement et la réalité de l'État de droit. Le fédéralisme soviétique n'est pas révisé alors que les revendications nationales progressent. Enfin, le système de représentation obligatoire des organisations sociales (750 députés, soit le tiers du parlement), destiné à préserver le Parti et diverses instances bureaucratiques des foucades du corps électoral, s'accorde mal avec une vraie conception du suffrage universel.

Un véritable parlement

Cette réforme a néanmoins ouvert la voie à des changements profonds du système. Les élections ont lieu le 25 mars. Même si, pour la première fois, ils n'y sont pas contraints, 89,8 % des électeurs (192 millions d'inscrits) se rendent aux urnes. Dans plus de deux circonscriptions sur trois, ils peuvent choisir entre deux, voire trois candidats. Certes, les résultats officiels ne semblent pas trop défavorables au Parti communiste puisque 87 % des élus sont membres du Parti ; mais ces chiffres dissimulent une tout autre réalité.

Presque partout où il en avait la possibilité, le corps électoral a choisi le candidat étranger au Parti, ou encore celui que le Parti ne soutenait pas, ou enfin celui qui se situait au bas de la hiérarchie du Parti. C'est ainsi qu'arrivent au parlement des représentants de Fronts populaires nationaux (tel le Front de Lituanie, le Sajudis), des opposants notoires – comme Andreï Sakharov – ou des « enfants terribles » contestés par le Parti, tels que Boris Eltsine ou Iouri Afanassiev. Dans certains cas, comme à Leningrad, toute la direction du Parti est rejetée par le corps électoral. Les élections de 1989 ont provoqué un vrai séisme politique en URSS, dont sort un parlement encore hésitant sur sa capacité d'action réelle, et néanmoins beaucoup moins docile qu'on ne le prévoyait.

En mai, s'ouvre la session du Congrès des députés du peuple, vaste assemblée de 2 250 membres, qui devait, dans l'esprit des auteurs de la réforme, élire aussitôt en son sein le Soviet suprême, bicaméral et permanent, avant de se séparer jusqu'à une session ultérieure. Commence alors l'aventure parlementaire soviétique. Le Congrès des députés du peuple avait imposé sa volonté d'ouvrir un débat sur tous les grands problèmes de l'URSS avant de céder la place au parlement restreint. Ce débat, télévisé dans son intégralité, fait découvrir à la société soviétique – qui passera des semaines devant les téléviseurs –, l'ampleur des problèmes et l'importance de leur discussion libre et contradictoire. En quelques semaines, la société soviétique se politise et amorce sa transformation en société civile.