Les présidences espagnole et française ont aussi des difficultés à faire progresser ce qu'il est convenu d'appeler l'« Europe des citoyens ». Plusieurs projets, qui devaient aboutir en 1989, restent lettre morte, notamment ceux qui concernent le séjour des inactifs (pour l'instant, ne peuvent s'établir sans conditions, dans un autre pays de la CEE que le leur, que les travailleurs, c'est-à-dire ni les retraités, ni les étudiants) et le vote des ressortissants communautaires aux élections municipales.

Deux soucis : l'image et l'environnement

Pendant près de six mois, l'audiovisuel a occupé le devant de la scène. En jeu, l'adoption d'une directive faisant obligation aux chaînes de télévision des États membres de diffuser un certain quota d'œuvres émanant de leurs partenaires. La France demandait un quota s'élevant à 60 %. La directive adoptée le 3 octobre au terme de négociations serrées et, à Paris, d'un large débat entre gouvernement et professionnels, n'a finalement aucun caractère contraignant. Les États membres sont invités « chaque fois que c'est possible » à faire en sorte que les chaînes « réservent à des œuvres européennes [...] une proportion majoritaire de leur temps de diffusion de films, fictions et documentaires ». La veille, à l'occasion des premières assises européennes de l'audiovisuel, avait été lancé à Paris un « Eurêka de l'audiovisuel », structure regroupant vingt-six pays (les 23 du Conseil de l'Europe – qui incluent les 12 de la CEE –, rejoints par la Hongrie, la Pologne et l'URSS) décidés à doter le continent européen d'une stratégie offensive dans la bataille mondiale des images.

Par ailleurs, la Communauté a fait sienne une préoccupation qui, en 1989, suscite une prise de conscience à l'échelle mondiale : la protection de l'environnement. Au moment où les conférences internationales sur la protection de la couche d'ozone, l'effet de serre ou encore l'avenir de la forêt tropicale se multiplient, la CEE a décidé de créer une Agence européenne de l'environnement.

L'Europe sociale

Ce sont en fait deux grands dossiers, celui de la Charte des droits sociaux fondamentaux et celui de l'Union économique et monétaire qui font la une de l'actualité européenne tout au long de l'année. La nécessité d'une « Europe sociale » n'est pas un thème aussi nouveau qu'on le croit généralement. Dès son premier mandat, le Président François Mitterrand l'avait appelée de ses vœux. Dans un mémorandum sur la relance européenne du 13 octobre 1981, le gouvernement français avait présenté l'« espace social européen » comme le corollaire obligé de la réalisation du Marché commun. L'accélération du processus d'intégration communautaire, à la suite de la signature de l'Acte unique, a renforcé la nécessité de prendre en compte la dimension sociale du marché européen. La méthode souhaitée pour y parvenir est l'adoption d'une charte communautaire des droits sociaux fondamentaux.

Le 31 décembre 1988, M. Mitterrand affirmait : « J'attends de l'Europe aussi qu'elle comprenne que, sans politique sociale et sans espace culturel, elle ne sera pas ». Six mois plus tard, au Conseil européen de Madrid, par lequel s'achève la présidence espagnole de la Communauté, le président de la République française réitère son credo : « On ne va pas faire l'Europe des capitaux sans faire aussi l'Europe des travailleurs » ; mais le dossier ne progresse guère. Un avant-projet de la Commission européenne est présenté aux chefs d'État et de gouvernement réunis à Madrid. Parmi les propositions qui leur sont soumises figurent l'institution d'un « salaire décent », la « fixation d'une durée maximale du travail par semaine », la « reconnaissance de la liberté syndicale » et une « protection sociale adéquate ». La question est de savoir si ces principes auront, s'ils sont retenus, un caractère contraignant.

Fin novembre, la Commission de Bruxelles propose un nouveau programme d'action aux Douze, en espérant qu'ils l'approuveront lors du Conseil européen de Strasbourg, les 8 et 9 décembre. Ce programme délimite les domaines dans lesquels la Communauté s'interdit d'intervenir : l'institutionnalisation d'un « salaire de référence décent », par exemple, devrait rester de la compétence des États. Mais, malgré le caractère peu contraignant de la Charte soumise à l'approbation des Douze, il est probable que Mme Margaret Thatcher n'y apposera pas sa signature. Le Premier ministre britannique a toujours été hostile à une ingérence, quelle qu'elle soit, de la Communauté dans le domaine social.

Réticences...

L'irréductible « Dame de Fer » joue de plus en plus les trublions dans le concert européen. Il est vrai que les Danois font aussi les fortes têtes, mais, leur capacité d'influence étant moins importante, c'est incontestablement à Mme Thatcher que revient la palme de la dissonance. En septembre 1988, le chef du gouvernement britannique avait prononcé à Bruges un discours resté célèbre sur l'« Europe des patries ». Elle y développait sa thèse en faveur d'une Europe du libre-échange, selon laquelle aucune part de souveraineté ne doit être transférée. Ce discours, relayé en Grande-Bretagne par un groupe de pression dénommé le « groupe de Bruges », fustigeait la Commission européenne et ses « bureaucrates ». Ce n'était en fait que le début d'une virulente campagne contre l'exécutif de la Communauté, et en particulier contre son président, M. Jacques Delors.