À Yamoussoukro, nouvelle capitale de la Côte-d'Ivoire, le président Houphouët-Boigny a doté sa ville natale d'une basilique fortement inspirée de Saint-Pierre de Rome. Si le style de Michel-Ange ou du Bernin souffre quelque peu de passer au moule de la préfabrication, la nouvelle église ne le cède en rien à son modèle par la taille (120 m de haut), et le dépasse. Édifiée par l'architecte libanais Pierre Fakhoury, Notre-Dame-de-la-Paix a été payée par le président lui-même. Il en a fait don au Vatican.

Dans le monde musulman, les grandes mosquées se multiplient. Le roi Hassan II, en sa qualité de commandeur des croyants, fait construire la plus grande de toutes à Casablanca, face à l'Atlantique. Il a fait appel à un architecte français, Pinseau, et à une entreprise française également, Bouygues, pour réaliser le nouveau « phare de l'Islam ». Celui-ci est financé, outre les dons, par un impôt volontaire.

La palme revient cependant au président roumain Ceausescu. Le « Danube de la pensée » a fait raser au centre de Bucarest la valeur de plusieurs arrondissements parisiens. Une immense avenue néoclassique, surnommée là-bas le « boulevard du kitsch », mène à l'indescriptible palais du « génie des Carpathes ». Le Conducator avait par ailleurs entrepris de repenser l'espace rural de son pays, et lancé un plan de « systémisation » qui passait par la destruction de la majorité des villages roumains et le relogement de leurs habitants dans des constructions standardisées. Le Führer aussi, se souvient-on, avait toujours voulu être architecte...

... et en France

L'architecture, quant à elle, a changé. Les grands travaux parisiens ont servi de modèles. Aux architectes, certes, qui ont eu la satisfaction collective de voir leurs mérites reconnus. Aux édiles, surtout, qui ont compris à quel point l'architecture pouvait être un puissant instrument médiatique de leur politique. Celle-là a trouvé un regain de vitalité chez celle-ci. Et réciproquement. Les villes françaises sont prises de fièvre. Inquiètes de leur avenir européen, elles cherchent à se donner une image, veulent trouver des visagistes auxquels s'abandonner. Voici Montpellier, maquillée par Ricardo, liftée par Claude Vasconi, l'un et l'autre appelés par son maire Georges Frèche. Bordeaux, dont Jacques Chaban-Delmas confie la rive gauche de la Garonne à Bofill. Nîmes, où Jean Bousquet multiplie les coups : une médiathèque pour Foster, des logements pour Nouvel et Ibos, un stade pour Gregotti, un musée pour Wilmotte... Perpignan, qui veut une place signée Nouvel. Lille, où Pierre Mauroy demande au Néerlandais Rem Koolhas de réaménager le quartier autour de la gare du futur TGV nord-européen. La moindre opération prend une valeur territoriale, devient l'objet d'un enjeu capital. L'Italien Anselmi, d'une mairie refait le paysage de Rezé-lès-Nantes. Vasconi encore, qui recrée avec un bâtiment métallique un centre à Saint-Nazaire. Et tant d'autres...

Si les mêmes noms apparaissent souvent, c'est qu'une nouvelle espèce est née : l'architecte star, magicien de l'impossible urbanité. Chacun se l'arrache, sûr d'avoir droit à la parcelle de la gloire qui l'entoure. La presse n'y a pas peu contribué. Elle leur ouvre ses colonnes, s'intéresse à leurs sorties nocturnes, les interroge sur leurs goûts et dégoûts, comme elle le fait avec les vedettes de la chanson. Cela put se mesurer en particulier lorsque fut découvert Dominique Perrault, vainqueur parfait du concours de la Bibliothèque de France.

Ces étoiles sont appelées comme des sauveurs, dans une surenchère de projets où l'image et le battage qui les accompagnent l'emportent parfois sur leur objet. Le comble, provisoire sans doute, revient à François Geindre, maire de Hérouville-Saint-Clair, commune de la banlieue de Caen, qui a proposé une tour, une sorte de brochette déconcertante, alignant en hauteur quatre édifices signés chacun par une vedette : l'Anglais William Allsop, l'Italien Massimiliano Fuksas, l'Allemand Otto Steidle et le Français Jean Nouvel. Qui dit mieux ?

Jean-Paul Robert
Architecte, Jean-Paul Robert est aussi journaliste. Il est rédacteur au magazine l'Architecture d'Aujourd'hui.