L'évaluation de la recherche reposant essentiellement sur le « Science citation index » où sont répertoriés tous les articles parus dans les grandes revues internationales ainsi que le nombre de citations dont ils ont fait l'objet, « publier ou périr » est devenu le mot d'ordre des chercheurs. Spécialement dans les pays, tels les États-Unis, où l'attribution des crédits de recherche fait l'objet d'une compétition serrée entre les laboratoires. L'« optimisation » des résultats d'une expérience, l'« emprunt » (sans citation) de l'idée d'un collègue ou la cosignature d'un article rendant compte d'une recherche à laquelle on n'a pas participé sont devenus monnaie courante dans un milieu jusqu'ici réputé pour son intégrité. Il apparaît clairement aujourd'hui qu'une part grandissante de la littérature scientifique n'est lue ni par les référées (comités de lecture)... ni par les lecteurs. Comment expliquer autrement qu'il ait fallu deux ans pour que le « Harvard Médical School » s'inquiète de la qualité des travaux d'un de ses chercheurs, qui publiait en moyenne un article tous les dix jours !

Personne d'autre que des chercheurs n'étant capable de juger des chercheurs, et la publication restant l'unique base tangible d'évaluation, les solutions tiennent sans doute à une modification des procédures de publication. Augmenter le nombre des référées, par exemple, permettrait de réduire la part d'appréciation personnelle laissée à chacun d'eux ; systématiser la vérification des résultats douteux par des commissions de spécialistes véritablement indépendants, sans pour autant tomber dans la chasse aux sorcières, éviterait à la science de se retrouver à la rubrique « faits divers » des médias.

La fusion froide et la mémoire de l'eau, enfin, sont révélatrices d'un nouvel état d'esprit de la communauté scientifique. Les chercheurs ressentent de plus en plus mal la dépersonnalisation de la science liée à l'usage des grands instruments (accélérateurs de particules, télescopes) autour desquels travaillent des centaines de personnes ou à la mise en route des grands programmes internationaux, tel le séquençage du génome humain. Le retour du savant solitaire faisant dans l'intimité de son laboratoire une découverte fracassante en est une conséquence logique et saine... Que la démarche soit couronnée de succès, comme celle d'Alex Müller, prix Nobel 1987 pour la découverte d'un nouveau type de supraconductivité, ou davantage sujette à controverse, elle témoigne d'un changement profond de la recherche actuelle. Entre la liberté de choisir son domaine de recherche, même en dehors des sentiers battus, et les impératifs économiques et ontologiques des institutions scientifiques, un délicat équilibre reste aujourd'hui à trouver.

Science et soupçon

Si la bonne foi des chercheurs ne fait aucun doute dans les deux « affaires » de la mémoire de l'eau et de la fusion froide, d'autres exemples récents montrent la vulnérabilité du milieu scientifique, où la confiance mutuelle est de règle, aux malversations de tous ordres. Le NIH (National Institute of Healh (l'équivalent américain de l'INSERM)) dénombre une quinzaine de publications litigieuses chaque année aux États-Unis, dans le seul secteur des sciences de la vie.

Célèbre pour avoir établi un lien entre l'usage de la thalidomide et les malformations fœtales, le médecin australien William Mac Bride a probablement voulu renflouer son institut de recherche privé en accusant (à tort) un autre médicament, l'hyoscine, d'avoir des effets comparables. Une commission d'enquête, la première du genre, ayant conclu à la fraude délibérée, le docteur Mac Bride a disparu de la scène scientifique. Mais une telle pratique, envisageable pour un institut privé, ne l'est plus pour un laboratoire financé sur fonds publics, où l'on préfère procéder à des réhabilitations qui sont des condamnations indirectes. En témoigne la mésaventure arrivée à David Baltimore, prix Nobel 1975. Un chercheur de son laboratoire du MIT (Massachusetts Institute of Technology), ayant révélé qu'une expérience décrite dans un article de son patron n'avait jamais été réalisée, s'est vu contraint de démissionner. L'affaire ayant été portée sur la place publique, Baltimore a dû faire amende honorable, et le chercheur a retrouvé son poste. De tels faits restent heureusement très anecdotiques, mais ils révèlent les exigences contradictoires de la science contemporaine, où la course au Nobel et aux crédits de recherche doit aller de pair avec la vérification, nécessairement lente et méticuleuse, de la moindre publication.

Nicolas Witkowski
Physicien, journaliste scientifique, Nicolas Witkowski est attaché d'enseignement et de recherche à l'université Paris-VII. Il collabore au département encyclopédies de la Librairie Larousse ainsi qu'à plusieurs quotidiens et mensuels, notamment la Recherche, le Monde, les Échos et Sciences Avenir.