Soupçonnée de servilité, indirectement accusée de fraude, ou au moins d'inconséquence, l'équipe de l'INSERM se rebiffa et dénonça la chasse aux sorcières organisée par Nature. Elle fut suivie en cela par une bonne partie de la communauté scientifique. « C'est du journalisme de la pire espèce » commenta Harry Metzger du NIH, grand spécialiste de l'allergologie. Dès lors, la « mémoire de l'eau » fit la « une » de la presse, spécialisée ou non, et les interviews de Benveniste succédèrent aux prises de position tranchées. Fustigeant les à-côtés financiers (l'industrie pharmaceutique de l'homéopathie en l'occurrence) de l'affaire, la revue Science et Vie, dans son numéro d'août 1988, alla même jusqu'à parler de « lyssenkisme », par référence au célèbre savant soviétique Lyssenko qui paralysa la biologie de son pays pendant plus d'un quart de siècle avec ses théories délirantes et erronées.

Machiavélisme insulaire

Il est vrai que l'exemple choisi par Jacques Benveniste pour vulgariser sa découverte est bien fait pour irriter les rationalistes purs et durs : agitez une clé de voiture au Pont-Neuf dans l'eau de la Seine... puis recueillez quelques gouttes d'eau au Havre pour faire démarrer ladite voiture. Mais les astrophysiciens et autres physiciens des particules se permettent des analogies bien plus osées pour faire passer leurs messages. Le directeur de l'INSERM, Philippe Lazar, refusa d'entrer dans la controverse, regrettant seulement les effets d'une médiatisation aveugle. « La science et l'information doivent respecter leurs rythmes propres et l'essence de leurs fonctions sociales respectives », écrit-il dans son livre les Explorateurs de la santé publié en septembre 1989 (Éd. O. Jacob). Amené à statuer sur le sort de l'unité 200, dont le Conseil scientifique de l'INSERM avait demandé la suppression, il décida en juillet 1989 de maintenir le docteur Benveniste dans ses fonctions, tout en lui enjoignant de « ne pas se marginaliser délibérément par rapport à la communauté scientifique [...] et de renoncer à s'exprimer en dehors des revues scientifiques de haut niveau ».

John Maddox apporta une conclusion provisoire (et insidieuse) à l'affaire dans le Monde du 26 juillet en se déclarant enchanté de la décision de Philippe Lazar, mais en expliquant que « même les scientifiques les plus compétents peuvent parfois perdre leur sens critique à propos de certains aspects de leur travail, et rester englués dans l'illusion ». Le contrepoison fut administré dans le même numéro du Monde par le ministre de la Recherche Hubert Curien qui déplora la toute-puissance des revues scientifiques anglo-saxonnes et déclara : « John Maddox a traité le cas Benveniste avec un machiavélisme un peu insulaire. »

Quelques mois avant ce dénouement qui n'en fut pas un (la question de la mémoire de l'eau reste ouverte), une autre affaire avait surgi le 23 mars 1989, posant plus crûment encore le problème de la publication scientifique. Dans les colonnes du Financial Times, deux chimistes, l'Américain Stanley Pons et le Britannique Martin Fleischmann, annoncèrent avoir réalisé en laboratoire avec leurs économies personnelles ce que de vastes collaborations internationales tentent sans succès à coups de milliards de dollars, depuis quarante ans : la fusion nucléaire de l'hydrogène, à l'œuvre dans toutes les étoiles, et dont la domestication assurerait à l'humanité une inépuisable source d'énergie. Le dispositif ? Un simple tube à essais empli d'eau lourde (de l'eau dont les atomes d'hydrogène sont remplacés par un isotope lourd, le deutérium) et deux électrodes de platine et de palladium branchées sur une batterie de voiture. Rien de comparable avec les monstrueux tokamaks ou les lasers hors de prix qui portent l'hydrogène à plus de 100 millions de degrés sans avoir encore permis aux physiciens d'atteindre le mythique « break even », ce moment à partir duquel la fusion donne plus d'énergie sous forme de chaleur qu'il n'en a fallu, sous forme d'électricité, pour l'obtenir. Pons et Fleischmann affirmèrent avoir observé un important dégagement de chaleur, quatre fois supérieur à l'énergie fournie par la batterie pour provoquer par électrolyse la cassure des molécules d'eau lourde. Selon eux, les atomes de deutérium piégés dans le réseau cristallin du palladium pourraient subir d'énormes pressions capables de provoquer leur fusion.

Pourquoi sont-ils encore en vie ?

La nouvelle de la « fusion froide » fit l'effet d'une bombe H. Une soixantaine de laboratoires de par le monde rééditèrent, toutes affaires cessantes, l'électrolyse de l'eau, expérience décrite depuis deux siècles dans tous les manuels élémentaires. Les confirmations affluèrent, mais surprirent par leur diversité. En cas de fusion, deux « signatures » sont en effet possibles. La création d'hélium et l'émission d'un flux de neutrons, ou l'apparition de tritium (un autre isotope de l'hydrogène) et l'émission d'un rayonnement gamma. L'université du Texas et celle de Tokyo enregistrèrent un fort dégagement de chaleur mais ne « virent » pas de neutrons ; une équipe soviétique et le laboratoire italien de Frascati trouvèrent du tritium, mais aucune élévation de température...