Par rapport aux dangers d'une telle expérience thérapeutique, les risques que présentent les recherches scientifiques menées sur l'embryon vivant sont sans comparaison. Dans la plupart des pays, ce dernier est en effet gratuit, alors que les œufs de mammifères coûtent paradoxalement fort cher. Quant aux législations, ou bien il n'en existe pas, ou bien elles sont hétérogènes.

Le spectre de l'eugénisme

Tout le monde s'accordant sur l'urgence d'un contrôle (réglementaire ou consultatif) dans ce domaine, il est probable que la situation évoluera prochainement. D'ores et déjà, en novembre 1988, à l'occasion de la Conférence européenne de bioéthique, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a rendu public un « projet de recommandation » sur « la recherche scientifique relative à l'embryon et au fœtus humains ». Tout en conseillant aux gouvernements européens de mettre en place « d'urgence » des instances nationales multidisciplinaires, ce rapport soulignait que « la création intentionnelle d'embryons ou de fœtus humains à d'autres fins que la procréation » devait être interdite. « Toute investigation ou expérience pratiquée sur des gamètes, sur des embryons, des fœtus humains ou leurs cellules doit avoir fait l'objet d'une autorisation écrite de la part des donneurs, qui auront été dûment informés de la finalité des interventions et auront donné leur consentement », précisait-il.

Remis au Premier ministre Michel Rocard au début de l'année 1989, l'avant-projet de loi Braibant sur la bioéthique et les droits de l'homme, qui « vise à concilier les exigences du progrès et la liberté de la recherche avec la nécessaire protection des droits de l'homme », va plus loin encore. Selon ce texte, au chapitre de la procréation médicalement assistée, les embryons conservés par la congélation devraient être détruits au-delà d'une période de cinq ans, ainsi que lors du décès de l'un des deux parents potentiels, de leur divorce ou séparation. Il est par ailleurs interdit de laisser se développer un embryon humain in vitro au-delà d'une durée de sept jours. « Cette durée peut être réduite à la demande expresse des auteurs de l'embryon », précise le rapport. À titre exceptionnel, elle peut aussi être prolongée jusqu'à quatorze jours, sur avis conforme du Comité national d'éthique. Enfin, si les parents potentiels peuvent faire don de leur embryon à la recherche scientifique, cette dernière ne doit en aucun cas « être susceptible de porter atteinte à l'intégrité du genre humain ou de conduire à des pratiques eugéniques ». En d'autres termes, les manipulations génétiques envisageables chez l'homme peuvent être effectuées sur des cellules somatiques (qui ne sont pas impliquées dans la reproduction), mais non sur des embryons humains, susceptibles de transmettre à leur descendance des modifications du patrimoine héréditaire.

« Il serait très dangereux d'autoriser les modifications du patrimoine héréditaire de l'humanité par l'introduction de gènes humains ou animaux dans des cellules reproductrices, rappelait début 1989 le professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine et directeur, à Paris, du Centre d'étude du polymorphisme humain (CEPH). Nous aurions alors bien plus de chances de détériorer que d'améliorer notre espèce. » Inquiétude confirmée par M. François Mitterrand, qui déclarait quelques mois plus tard : « La recherche des secrets de la vie a quelque chose d'angoissant, quand on pense que ces secrets pourraient être utilisés au détriment de l'homme. [...] Ce risque peut être lointain pour ce qui nous concerne, mais les atrocités commises au xxe siècle, au nom d'une prétendue amélioration de l'espèce humaine, démontrent bien que ce risque est toujours là. »

Catherine Vincent
Biologiste de formation, Catherine Vincent est entrée au service Société du Monde en 1988. Journaliste scientifique, elle y traite notamment les questions relatives à la génétique et aux biotechnologies.