Biologie humaine : les nouvelles manipulations

Aujourd'hui, l'homme a les moyens d'agir sur les lois de la nature. Manipulations génétiques, procréation assistée, embryons congelés... Ses pouvoirs sont-ils sans limite ?

Coup de tonnerre dans le ciel de la médecine : le 19 janvier 1989, le National Institute of Health (NIH) et la Food and Drug Administration (FDA) américains autorisaient pour la première fois dans le monde la mise en œuvre, à des fins thérapeutiques, d'une manipulation génétique sur l'homme. Au-delà de son intérêt immédiat, cette autorisation sans précédent constitue une étape essentielle dans l'histoire de la médecine. À terme, elle pourrait en effet concerner les milliers de maladies héréditaires recensées chez l'homme, dont bon nombre restent aujourd'hui incurables.

Réalisée le 22 mai par les docteurs Steven Rosenberg, French Anderson et Michael Blaese, au National Cancer Institute de Bethesda (Maryland), l'expérience autorisée par le NIH et la FDA s'est déroulée en plusieurs phases. Des lymphocytes, cellules sanguines spécialisées dans la défense immunitaire, ont tout d'abord été prélevés chez un malade atteint d'un cancer de la peau au stade terminal. Les médecins ont ensuite « marqué » ces cellules grâce aux techniques du génie génétique, en insérant dans leur patrimoine héréditaire un gène leur conférant une résistance particulière à un antibiotique. Ces mêmes cellules avaient été préalablement « dopées » par une hormone naturelle du système immunitaire, l'interleukine 2. L'objectif : étudier, non plus sur des cellules en culture mais dans l'organisme, la capacité de cette hormone à renforcer l'action des lymphocytes contre les tissus cancéreux. La dernière étape consistait donc à réinjecter les cellules modifiées dans l'organisme du malade, le gène « marqueur » permettant ainsi aux médecins de suivre leur devenir – et d'évaluer en conséquence l'intérêt thérapeutique du traitement hormonal.

L'ère de la thérapie génique

De là à penser que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de la médecine, il n'y a qu'un pas, qu'il faut toutefois se garder de franchir trop vite. La thérapie génique, qui consisterait à remplacer les gènes défectueux impliqués dans une maladie héréditaire par des gènes « normaux », n'en est encore qu'à ses balbutiements. En premier lieu pour des raisons techniques : pour qu'une telle manipulation soit efficace, le gène doit être inséré en bonne place sur son chromosome, s'exprimer correctement, et ne pas provoquer de désordres moléculaires incontrôlés – telle l'activation d'un oncogène, dont l'expression favoriserait l'apparition de cancers. Autant d'obstacles que les chercheurs mettront sans doute plusieurs années à lever tout à fait, avant que l'on puisse envisager réellement la pratique d'une thérapie génique. Il n'en reste pas moins que la recherche, dans ce domaine, a fait ces dernières années un formidable bond en avant. Notamment grâce à une voie de recherche en pleine expansion, la cartographie génétique.

Cartographier le génome humain, cela signifie recenser l'ensemble de nos gènes, ces fragments d'ADN (acide désoxyribonucléique) qui se déroulent tout au long de nos 46 chromosomes. Les recenser, mais également déterminer leur localisation sur le chromosome qui les porte, ainsi que la distance qui les sépare les uns des autres. Un travail titanesque, puisque l'on estime de 35 000 à 50 000 le nombre de gènes constituant notre patrimoine héréditaire. Et pourtant... Alors que seuls 64 gènes étaient localisés en 1973, on en comptait près de 1 500 en 1985... et plus de 3 000 cette année. Une accélération presque exponentielle, puisque chaque gène repéré sur un chromosome permet, par chevauchement, d'en découvrir un autre à proximité. Au point que les chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), pour s'y retrouver, font désormais appel à une banque de données informatisée dans laquelle sont stockées toutes les informations concernant ces milliers de gènes.

Le « code barres » biologique

La preuve se trouvait au fond de l'éprouvette : en juin 1989, l'identité d'un cadavre, incinéré en mai 1988 au crématoire de Valenton (Val-de-Marne), a été formellement authentifiée. L'histoire serait sans doute passée inaperçue si cette identification médico-légale, portée au tribunal de grande instance d'Évry (Essonne), ne s'était faite, pour la première fois en France, au moyen d'un tout nouvel outil de la biologie moléculaire : la technique des empreintes génétiques.